Récit

OLIVIA, 35 ans: « C’est le moment de changer. »

OLIVIA, 35 ans :

J’ai longtemps eu l’impression d’être heureuse. Aujourd’hui, je me rends compte que c’était une mascarade. En fait, je ne me connaissais pas.
Avec le recul, j’ai le sentiment qu’on m’a imposé les choses; qu’on m’a amenée à prendre des décisions que je n’aurai pas forcément prises seule. L’impression d’avoir été poussée sur une route que je n’avais pas choisie.



CHAPITRE I

Ma mère a fait de moi ce qu’elle aurait voulu être. Elle, italienne, un peu boulotte, pas très jolie, ayant souffert de son image, ne voulait pas que j’aie les mêmes problèmes. Il fallait donc être la plus belle, il fallait être la meilleure en cours. Être toujours au top. Irréprochable.

J’ai fait de la danse par hasard.

J’ai simplement suivi les conseils d’un médecin après qu’il m’ait diagnostiqué des problèmes au pied.
Il s’est avéré que je n’étais pas trop mauvaise donc ma mère m’a poussée à faire ça sérieusement. Je suis entrée au conservatoire et naturellement je me suis dit que j’allais être danseuse. Je voulais être comme toutes ces belles femmes élancées. Pour moi ça restait logique avec ce fantasme de la femme parfaite dans lequel j’avais été élevée. Je suis longtemps restée dans cette idée.

En sortant du lycée, je me suis posé la question de mon avenir en tant que danseuse. J’étais douée mais pas assez exceptionnelle pour intégrer une grande compagnie prestigieuse. Je me disais que je n’arriverai jamais à atteindre ce niveau.
Alors, je me suis consacrée à la psychologie. J’ai passé ma maîtrise que j’ai adoré suivre. Ça m’a toujours intéressée. Dans la famille on est soit dans le social soit artiste. Moi, je suis un peu au carrefour.

Pendant ces années, j’ai rencontré mon futur mari. Il m’a très vite demandé quel était mon rêve. A cette époque c’était encore la danse.
Il m’a pris par la main et m’a dit qu’on allait à Paris pour que je passe mon diplôme d’état. “Tu vas faire ce que tu as toujours voulu faire”. Le rêve. Ça me convenait très bien. Mais là encore, ce n’était pas vraiment ma propre décision.
Ensuite, ce que je vis est génial. On habite à Paris. J’intègre une superbe école. Je me fais des amis fantastiques. J’en chie évidemment mais je fais ce que je pensais vouloir faire.

Et alors que je me sentais super bien, mon mari a pris seul la décision de rentrer à Metz. Je l’aimais énormément alors évidemment je l’ai suivi. On est revenu dans notre région et il a voulu acheter la maison de sa famille. Et là aussi j’ai dit oui.

Ce n’est en aucun cas des choix que je regrette.

Mais je constate qu’ils m’ont été un peu imposés. Il ne m’avait pas vraiment laissé le choix. C’est mon point faible, j’ai beaucoup de mal à prendre des décisions impulsives qui peuvent changer ma vie. Grosso modo, je suis une grosse trouillarde qui n’a pas les couilles de sortir de sa zone de confort.

A cette époque, j’avais l’impression d’avoir tout pour être la plus heureuse. J’avais eu une belle enfance où je n’avais jamais été dans le besoin. Je réussissais ce que j’entreprenais. J’avais des anges qui me protégeaient au-dessus de ma tête.
Mais le conte de fée se termine assez brutalement avec une décision qui, comme d’habitude, ne vient pas de moi.
Mon mari décide de me quitter.

J’ai évidemment tout fait pour sauver notre couple et récupérer celui que je pensais être l’homme de ma vie.
Mais je me suis rendue compte assez vite que si j’étais heureuse avec mon mari, je ne l’étais pas avec moi-même.

Et j’ai commencé à m’interroger. J’ai démarré une psychothérapie où j’ai compris que ma mère m’a façonnée mais qu’elle ne me connaît pas. Et que mon père, qui n’a jamais fait gaffe à moi, ne sait pas plus qui je suis. Ma psy me dit: “En fait vous êtes seule.”
Je me prends une énorme claque.
Finalement, personne ne m’a jamais vue. Personne n’a jamais vu qui j’étais.
J’ai passé une vie à construire une apparence en oubliant d’apprendre à me connaître intimement.



CHAPITRE II



Je sais que j’ai un problème avec mon image. J’étais Olivia danseuse, jolie, drôle. Ça m’a convenu un temps. C’était même plutôt flatteur. Mais maintenant ça ne me va plus.
Sur scène, on me donne toujours des rôles de bombasses. Toujours mon physique avant mes émotions. J’ai demandé à être autre chose que la nana sûre d’elle, pas trop “dégueu”, rigolote. Mon metteur en scène me dit: “Je t’emmène sur ce que tu sais faire”.
Mais ça fait trente ans que je joue ce rôle dans ma vie donc, oui, je le maîtrise ! L’ironie est que je ne me vois même pas cette façon. Et je ne le suis pas. Ça m’épuise.

Je suis incapable de sortir sans maquillage.

Dans la vie, me maquiller, m’apprêter, c’est une manière de me costumer. Je préfère me mettre à poil plutôt que d’être vue sans maquillage.
Et qui se maquille ? Les artistes avant de monter sur scène. Ma vie est une grande scène de spectacle.
Mais je ne le veux plus. J’aimerais vraiment être autre chose. Je ne suis pas qu’une paire de jambes.

Je me rends compte aussi que les choses n’ont jamais été à leur place.
J’ai donné à mon mari la place de père de substitution et non d’amant ou de confident. Il a été cette figure paternelle qui m’a manquée.
Lui n’ayant pas eu de père, il avait besoin de prendre cette place et moi, j’avais besoin qu’on me guide. On était dans quelque chose de pas très sain. Aucun de nous n’en avait conscience.

Aujourd’hui encore j’ai du mal à signer les papiers de divorce. Mon ex-mari est encore très présent pour moi. Après la signature, il ne le sera peut-être plus. Symboliquement c’est comme ne plus avoir de père du tout. C’est une étape compliquée à franchir.

Maintenant, j’ai plus de mal à croire en l’amour.

J’ai vraiment été très heureuse avec mon ex-mari et je pense que je m’attache à des hommes avec qui je sais pertinemment que ça ne marchera pas pour ne plus avoir à souffrir. Ce qui est ridicule car je souffre quand même.
Le pire est que les hommes que j’ai rencontrés depuis ma séparation ont aussi pris les décisions pour moi. Alors que je savais parfaitement qu’ils ne me correspondaient pas, ce sont eux qui ont fait le choix de me quitter.
Je n’arrivais pas à prendre la décision de partir.

Ça m’a interpellée. Et récemment j’ai réussi à inverser la tendance grâce à mes amies qui m’affirmaient que je méritais mieux alors que, moi, je pensais ne rien mériter de bien. J’ai pris le parti de les croire, sans conviction, et j’ai stoppé la relation.
Mais encore aujourd’hui c’est comme si j’avais besoin de leur validation. Toujours cette même difficulté à prendre une décision seule.

Si je ne rencontre personne c’est que je dois avoir des choses à régler.
Il faut s’aimer pour être aimé et je ne m’aime pas forcément.

Je suis contente d’en avoir désormais conscience et de l’avoir compris.

Maintenant je vis seule, j’ai acquis mon autonomie. Et je remercie mon ex-mari de m’avoir quittée.

Ça m’a fait grandir.

Avant je ne pouvais pas faire les choses sans lui, dormir sans lui. Je ressentais son absence comme le manque d’une partie de moi.
J’étais encore une enfant alors comment j’aurais pu être mère ? A trente ans, je ne me sentais pas légitime en tant que maman.

Depuis que ma fille est née, j’essaie de la préserver, de ne pas la noyer dans la représentation comme ma mère a pu le faire pour moi.
Elle y est un peu quand même. A cause de ses copines, de Youtube et de ma mère aussi. Mais je ne la réduis pas à son physique.
J’évite le noeud dans les cheveux. Même si c’est ma fille et qu’elle est magnifique.
Tous les soirs, je lui dis: “N’oublie pas, tu es la plus gentille, la plus intelligente, la plus courageuse, la plus rigolote, la plus jolie et la plus importante à mes yeux”. Je mets en avant toutes ses qualités. Et je place “jolie” après le reste.

J’essaie de l’emmener vers ce qu’elle a envie de faire. Je veux lui éviter de devoir jouer un rôle ou d’être uniquement dans l’apparence.
Je veux qu’elle trouve sa propre voie.

J’ai envie d’apprendre.

J’ai l’impression de ne plus être nourrie intellectuellement.
Je suis certaine que la vie donne les choses au bon moment. Mais en ce moment l’univers ne m’envoie aucun signe.

Je ne sais pas si la danse fera encore partie de mon futur.
Je ne sais pas si j’aime encore danser.
C’est compliqué.
Si j’avais la jambe cassée à ne plus pouvoir jamais danser, je le prendrais comme le signe que c’est le moment de faire autre chose.
C’est un peu comme si il fallait que ce soit la vie qui m’impose la direction.

Je nourris les gens comme je peux avec mes cours, et je crois que je le fais bien. J’ai de super retours. Des élèves qui m’adorent. Je sais ce que je leur apporte. Mais ça ne me suffit plus.
Tous les ans en septembre j’attends ce fameux signe. Comme une autorisation de faire autre chose. Et à chaque fois j’ai le signe contraire. Mes cours sont pleins. Comme si on me disait: “Non, n’arrête pas!” Alors, je me dis que je ne peux pas arrêter.

On voit ce qu’on a envie de voir.
Ce qu’on est prêt à voir.



CHAPITRE III



Je pense depuis quelque temps à changer de métier. Je ne supporte plus le superficiel. Si la danse ne l’est pas forcément on reste dans quelque chose d’esthétique. Je me retrouve quand même face à un miroir toute la journée. Et maintenant ça me dérange foncièrement.

J’ai toujours eu envie d’être criminologue. A un moment je me suis dit que j’allais faire ça. Finir mon master de psycho, puis un DU en criminologie. J’avais vu une formation à Aix en Provence à raison d’un week-end par mois. Je me suis dit c’est possible.

Puis très vite, je ne me suis pas sentie sereine. Parce que financièrement, il faut que je continue à travailler et à élever ma fille. J’ai l’impression que l’ampleur de la tâche serait trop grande. C’était utopique.
J’ai eu l’intuition que j’allais me planter. C’est impossible pour moi de m’engager si je ne peux pas faire les choses à fond. Ce n’est pas dans mes valeurs.

J’essaie de relativiser.

J’ai quand même une qualité de vie cool. J’ai du temps en journée. J’ai les vacances scolaires. Et si je recommence un neuf heure – dix-neuf heure avec cinq semaines de congés payés, je ne sais pas si ce rythme de vie pourrait me convenir. Et en même temps je me dis que ça doit être cool d’être cadré.
Bref, c’est confus.

Je ne sais pas où je vais. C’est mon problème du moment.
J’ai envie d’autre chose et je ne sais pas quoi.

Depuis que mon mari m’a quittée, il y a trois ans, j’ai l’impression de ne pas avancer.
Je suis totalement dans le brouillard. Et c’est une période qui dure depuis trop longtemps. Ça ne me convient plus et j’aimerais plus que tout en sortir.

J’en suis là. Une vie qui est le résultat d’une suite de décisions prises à ma place. Que ce soit pour le meilleur ou le pire.
Sauf que je me retrouve maintenant face à mes fragilités. Je suis une maman célibataire qui travaille sur l’image d’elle-même et qui, encore aujourd’hui, ne sait pas qui elle est.

Mais je sens que j’ai appris. Je chemine pour retrouver la lumière qui, j’espère, se présentera bientôt. Je me sens quand même plus légitime. Je commence à prendre ma place.

Je sais que je ne pourrai pas vivre dans une vie de routine. J’ai besoin de folie, de passion.
C’est le moment de changer.


De l’importance de savoir où on va.
Le brouillard dont Olivia parle est épais. Je suis certain qu’on en sort mais la lumière n’est pas toujours suffisamment brillante pour nous montrer le bon chemin.
Définir qui on est reste sans aucun doute le problème le plus difficile à résoudre. C’est une question que beaucoup ne se posent pas assez tôt. Par manque de temps. Par peur.
Je me suis senti très proche de la problématique d’Olivia. On perd son élan à être aspiré par l’élan de quelqu’un d’autre. Même si c’est confortable.
Il ne faut pas négliger un temps à soi, égoïste durant lequel les pensées sont centrées vers notre plus grande inconnue. Notre raison d’être.
Et comme elle, je ne l’ai pas encore trouvée.

Tous, nous pouvons être qui nous nous voulons. Peu importe ce que nous sommes aujourd’hui.
Qui voulez vous être ? Et quel prix êtes-vous prêts à payer ?

— Fred

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