Récit

STEPHANE, 39 ans: « Le canapé est devenu mon meilleur…

STEPHANE, 39 ans:

Mon père est un sicilien né dans les années cinquante. Comme le voulait la tradition son mariage a été arrangé par ses parents mais il a choisi de s’y opposer. Il a finalement rencontré quelqu’un d’autre qui est devenue ma mère. Cette histoire a été fondatrice pour moi car je suis ce que je suis uniquement parce qu’il a fait ce choix là. J’ai grandi avec le sentiment que cet acte de rébellion m’a, en quelque sorte, prédéterminé.



CHAPITRE I

Je n’ai jamais trop su où ma vie me menait, mais à l’instar de mon père j’ai systématiquement nagé à contre courant, été là où on ne m’attendait pas.
J’ai décidé de ne pas être carreleur comme mon père alors que c’était la voie logique. Il m’avait tout appris et j’étais plutôt doué. Mais j’ai dit non, je ne voulais pas faire ça. Mon père ne m’en a pas voulu. Il devait quelque part se reconnaître en moi.

Je n’avais pour autant pas d’idées plus claires sur mon avenir.

J’ai voulu être chanteur quand tout le monde me disait que c’était une mauvaise idée. J’ai voulu être comédien quand tout le monde me disait que je n’avais pas le physique ou que j’étais trop vieux.
Mais malgré mon éducation qui ne plébiscitait pas ce genre de voie, mon père m’a fait confiance et m’a dit: “Montre-moi que tu peux.” C’était un bel encouragement mais une énorme pression aussi. J’ai alors bossé comme un dingue. Je faisais quatre pièces en même temps. J’avais des projets de chansons. J’étais plein d’idées.

A l’époque, j’avais rencontré une nana plus âgée. Elle m’a donné confiance en moi et ça m’a galvanisé. A ce moment, j’étais en couple et j’ai trompé ma copine avec cette femme. Très logiquement, mon infidélité m’a amené au célibat et à être l’heureux propriétaire d’un canapé, d’une télé posée à même le sol et d’un gros découvert à la banque. C’était tout ce qu’il me restait.
Peu de temps après, un pote m’a rendu visite et, en l’allumant, a fait imploser la télé. La vie venait de me faire un gros doigt d’honneur comme pour mieux souligner le merdier dans lequel j’étais.
Mes journées était pourtant bien remplies mais je me suis éteint doucement sans m’en rendre compte. A vingt-six ans, la mélancolie m’a enveloppé et j’ai clairement fait une dépression.

Le canapé est devenu mon meilleur ami.

Je me répétais sans arrêt: “Qu’est ce que j’ai fait ?”.
J’avais perdu l’envie.

J’ai commencé à refuser des projets. J’étais de moins en moins préparé avant d’aller sur scène. Je procrastinais. Je connaissais moins mes textes. Je m’en foutais. Et peu à peu je me suis enfermé. Peut-être que je n’étais pas prêt à prendre ce chemin artistique. J’ai le sentiment qu’il me manquait les outils. Si j’avais su à l’époque ce que je sais maintenant, j’aurais tout géré autrement. Je serais sûrement monté à Paris. Je me serais moins épuisé à la tâche. J’aurais fait plus attention à moi.

Mais j’ai fini par faire connerie sur connerie.
Avec mon quotidien.
Avec les gens.
A mes trente cinq ans, je vivais au jour le jour. J’avais fini par faire du carrelage pour survivre. Et je chantais aussi dans les bals. C’était terrible. Je faisais tout ce que je m’étais promis de ne pas faire. Et j’en suis arrivé à un point où je n’arrivais pas à remettre ma vie en question.

Puis j’ai rencontré ma future femme.

Ça nous a pris deux ans pour que notre couple se stabilise. Nos douze ans d’écart n’ont pas facilité la tâche. Ça a été compliqué à gérer pour elle et moi. On se quittait pour aller vers d’autres mais on finissait toujours par se retrouver.
Une fois que nous avions réussi à accepter notre amour et à ne plus en être effrayés, tout a changé.

Elle m’a amené de la normalité et de l’engagement. C’est un mot simple et effrayant; pour moi il est synonyme d’équilibre.
Avant elle, je me sentais anormal et je me noyais dans toute cette tristesse et cette mélancolie. J’avais des piliers auxquelles je pouvais m’accrocher mais je prenais un malin plaisir à tout casser.
Elle m’a amené une autre vision de la vie.

Ça m’a pris quatre mois pour tout remettre à zéro. Elle m’a connu intermittent, gardien de nuit. Et à un moment, je me suis dit qu’il fallait que ça bouge.
J’ai décidé moi-même de prendre mes distances avec l’artistique (Elle ne m’a jamais ordonné de faire quoi que ce soit). J’ai alors abandonné la musique sans me dire que c’était une mauvaise chose. Je l’ai fait avec plaisir. Je ne voulais plus être un chanteur de trente cinq ans pour les vieux et les midinettes des bals d’un village paumé.

Mon choix a été de sortir de mes zones de confort.

D’abord géographiquement, j’ai déménagé dans les Vosges. Il fallait que je change d’environnement.
Ensuite professionnellement, j’ai arrêté d’être intermittent. Je me suis concentré sur un seul et unique projet artistique. Puis une nouvelle fois , je suis allé là où on ne m’attendait pas. J’ai décidé d’être commercial et je suis allé dans une des plus grosses boites allemandes d’outillage agricole. Plus tard, j’ai décidé de vendre des voitures. J’y ai retrouvé une espèce de niaque qui a engendré du succès, pas un succès de scène mais un succès professionnel.



CHAPITRE II



Tout ce basculement m’a fait comprendre que j’étais fort mais pas si fort que ça. Longtemps, entre le lever et le coucher, j’ai hésité entre prendre ma vie en main et rester sur mon canapé. Et le canapé me tente encore parfois. Il faut que je me surveille et il faut que je sois vigilant pour ne pas me laisser aller à la mélancolie car désormais quand je pousse la porte de chez moi j’ai deux gnomes qui comptent sur moi. Je ne peux pas leur faire subir ça.
Mes gamins m’emmènent dans un monde de jeux et d’insouciance où la mélancolie n’a pas sa place.

Et il y a ma femme qui me pousse toujours plus haut, toujours plus fort. C’est un vrai soutien. Elle est là pour moi et je suis là pour elle.

J’ai appris à être bien entouré.

Et je bosse. J’arrête pas. Pourtant, j’ai encore parfois l’impression d’être un fainéant quand je repense à mon père que j’ai vu besogner comme un dingue.
Mais la fatigue me rattrape. Aujourd’hui c’est lui qui me demande de lever le pied. J’ai mes limites.
Là, je commence à me dire que mon travail de vendeur est bien trop prenant. Sept jours sur sept; de huit heures le matin à vingt heures le soir.

Tout va bien sauf quand je me mets à penser. Les petites voix commencent là. Quand il m’arrive quelque chose de bien systématiquement j’ai l’impression de ne pas le mériter et de devoir le perdre.
Je me suis longtemps senti comme un imposteur. J’ai souvent pris un chemin surprenant mais je ne l’ai pas fait avec mon vrai visage. Je me suis trahi.
J’ai choisi d’être chanteur mais je voulais une voix plus aiguë alors j’ai pris des médocs pour changer ma tessiture.
J’ai choisi de multiplier les conquêtes mais je n’acceptais pas mon corps alors j’ai fait un régime qui m’a fait perdre quarante-cinq kilos.
J’ai même vécu ma réussite professionnelle comme une imposture comparée à celle de mes collègues qui avaient fait des études. Ce que ces mecs ont habituellement appris en deux ans, je l’ai appris en six mois. Et je fait partie maintenant des meilleurs vendeurs de ma boîte.

La vie n’est que choix et je ne suis pas fier de tous les miens.

Je ne suis pas fier d’avoir multiplié les conquêtes. Je ne suis pas fier d’avoir fait beaucoup de mal aux gens comme à moi-même. Alors j’ai tout fait pour arrêter de me voiler la face. Ça passe surtout par faire le deuil des rêves auxquels on s’accroche naïvement. Il faut accepter d’évoluer tout en respectant ce qu’on est.
Ne pas se mentir c’est important. Je peux être quelqu’un de bien et parfois je peux être un sale con. Je suis bordélique. Je ne suis pas patient. J’ai compris qu’il fallait accepter ce qu’on est et apprendre à aimer ce qu’on est.

J’ai vécu des choses difficiles mais, finalement, pas plus que d’autres.
Ce qui m’importe le plus aujourd’hui est ce que je vais laisser derrière moi: “Qu’est ce qu’on va retenir de moi après ma mort ? Qu’est ce que je vais laisser à mes enfants ?”
J’ai envie qu’on soit fier de moi.

Je vais avoir quarante ans.

Aujourd’hui je me sens légitime d’être un père, un mari et un vendeur de voitures.
Je pense être un bon mari. Notre couple fonctionne. Pourtant je suis chiant et ma femme est une emmerdeuse. Notre secret est que nous nous acceptons tels que nous sommes.

Dernièrement, j’ai beaucoup pensé à mes parents. La façon dont on les perçoit change avec le temps. Il y a trois périodes: celle où tu les aimes, celle où tu les juges, et enfin celle où tu les comprends.
Là, je les comprends.
J’espère être un bon père en montrant à mes enfants qu’ils ne doivent pas se limiter. Qu’ils peuvent faire plein de choses. Qu’ils ne doivent pas se gâcher.

Il m’arrive de souhaiter, comme un sursaut de nostalgie, une reconnaissance artistique. Mais désormais je la veux dans l’ombre. Je souhaite qu’on reconnaisse la qualité d’un texte d’une chanson sans savoir que c’est moi qui l’ai écrite. Je n’ai plus ce besoin d’être vu et d’être en lumière. Je veux mettre les autres en avant.

Aujourd’hui, j’en suis là; avec cette vie de famille totalement inattendue.
Finalement cette route, m’a fait comprendre la valeur de la vie. Ça crée des choses à raconter.

Et peut-être pourquoi pas des chansons à écrire.


C’est un lieu commun de penser qu’à chaque nouvelle année, notre vie va être meilleure. « Cette année va être la bonne » est une phrase que j’entends sans arrêt. Je n’ai jamais vraiment cru à cette pseudo magie à laquelle tout le monde essaie de croire. Comme si nos vies pouvaient prendre un tournant différent parce que les derniers chiffres du calendrier changent.
Spoiler Alert ! C’est faux.

L’espoir n’est pas inscrit dans les premières pages de votre agenda. L’espoir du mieux est une quête vaine. L’espoir nous égard.
Le mieux est déjà là, dans le présent, parfois tapis dans l’ombre. Chaque jour. Chaque heure. Chaque minute.
Mais, le fourbe, il ne vient pas à nous. Il nous revient de le chercher, de le reconnaître dans la neige qui tombe, dans ce sourire que vous connaissez par cœur, dans un bon livre, dans cette chanson entendue par hasard qui vous donne la réponse, dans cette lumière qui vous éblouit encore même les yeux fermés, dans une rencontre.

Stéphane a fait cette rencontre qui lui a permis de se souvenir de la personne qu’il est. Le chemin est encore long. Mais je sens dans son récit la gratitude pour cette présence qui lui a ouvert les yeux après ses années de cécité. Sa femme n’a pas été la réponse mais, à ses côtés, il a su trouver la route à suivre.
C’est une rencontre qui vous aligne avec vous même.

On dit que « les cons osent tout et que c’est à ça qu’on les reconnaît », moi je pense que ce sont les gens aimés (surtout par soi-même d’abord et par l’autre ensuite) qui peuvent tout s’autoriser. L’amour est un moteur.
Sachez le reconnaître, passé ou présent, et donnez lui votre gratitude.

En ce début d’année, c’est le meilleur cadeau que vous pourrez vous faire.

— Fred

Texte: © Tous droits réservés – 2020
Photo: © SC



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