Récit

DAVID, 40 ans: « Le rire a toujours fait partie…

DAVID, 40 ans :

Le rire a toujours fait partie de ma vie. Je viens d’une famille italienne où, grandissant en banlieue parisienne, je n’entendais que rires et chants. Le rire m’a très vite servi de mécanisme de défense et s’est rendu très utile pour lutter contre ma timidité.
Plus tard il a été essentiel à ma sociabilisation.



CHAPITRE I


Je cumule les métiers de professeur d’espagnol depuis seize ans et de comédien depuis dix ans. En 2016, j’ai pris ma décision la plus déterminante: celle de faire un tour du monde d’un an et de réaliser un documentaire sur le rire. En tant que comédien, je voulais comprendre les mécanismes de l’humour. Je voulais savoir si nous pouvions tous rire des mêmes choses, de Moscou à Melbourne.

Ce voyage a fait de moi un activiste du rire. Le point commun de tous ceux que j’ai croisés est qu’ils utilisent l’art pour soigner, dénoncer ou pour redonner espoir. Ma plus belle révélation a été de découvrir l’art du clown. Pas le clown de cirque que tout le monde connaît mais le clown humanitaire, social; celui qui va dans les hôpitaux faire rire les malades et dans les camps de réfugiés apporter un peu de réconfort.
C’est jouissif de réussir à comprendre la personne que tu as en face de toi, de voir quel levier psychologique tu peux actionner pour l’aider.

Ce projet a vraiment pris forme quand j’étais à New York.

A partir de 2014, j’ai passé deux ans à travailler au lycée français. Je dirigeais le département des langues. J’avais beaucoup de responsabilités, une charge de travail colossale, un bon salaire. J’ai rencontré quelqu’un. On s’est marié. La relation n’a pas fonctionné. On a divorcé.

Un jour, j’étais en train de manger avec une amie. Elle m’a demandé si j’allais bien. J’étais au fond du trou et spontanément je lui ai avoué que je n’avais qu’une envie: quitter mon travail d’enseignant, prendre mon sac à dos, me barrer et faire un documentaire sur le rire. Depuis gamin, j’avais toujours rêvé de faire le tour du monde mais l’idée était un peu restée en suspens. Là dans cette conversation de dépressifs autour d’un sushi, le projet a rejailli.

Enseigner me plaisait beaucoup mais je sentais déjà que ma vie ne me correspondait pas ou plus. Un feeling. Je commençais à sentir que mon rapport au monde était différent. Alors, j’ai dépoussiéré mon idée de voyage et je me suis rendu compte que le projet était hyper abouti dans ma tête. Je savais précisément ce que je voulais faire.

Je pouvais tout arrêter à New York et rien ne m’attendait encore en France. C’était le moment idéal. A partir de cet instant, j’ai commencé à en parler à tout le monde. Le projet avait un nom, une date, une campagne de financement sur internet.
Six mois ont été nécessaires pour organiser le départ.
Durant ce temps j’ai toujours eu l’impression que j’allais me dégonfler, que jamais je ne monterais dans l’avion. Ma peur était liée à l’idée du manque d’argent sur place ainsi qu’à toute la partie logistique. Même la veille du départ, j’ai très mal dormi, je me disais encore que je n’aurais pas le courage de partir. J’ai quitté New York pour rentrer en France et le 5 septembre 2016, j’ai décollé de Paris pour visiter quinze pays.

Ce premier tour du monde a été unique.

J’ai eu énormément de chance et fait beaucoup de rencontres exceptionnelles. A chaque moment un peu critique, j’ai croisé quelqu’un qui m’a apporté son aide et m’a ouvert les yeux.
Mon idée, au départ, était que ce projet aurait un début et une fin. J’envisageais de revenir ensuite à Paris pour reprendre une vie un peu plus normale.
A mon retour, je me suis rendu compte que ça ne serait pas possible. Je n’avais pas l’impression de rentrer, mais de faire une escale pour voir mes potes et ma famille. A peine arrivé, je me voyais déjà repartir. Ce voyage a chamboulé plein de choses.

Le premier effet a été de me détacher d’une consommation extrême voire maladive dont j’étais l’esclave. Au retour de mon tour du monde, je suis arrivé chez ma grand-mère où mes affaires étaient entreposées, et j’ai eu l’impression que l’armoire de fringues était un magasin. J’en étais presque honteux. J’avais le sentiment que tout cet amas de choses définissait quelqu’un que je n’étais plus. Je m’étais rempli matériellement mais en même je m’étais vidé de moi-même.
L’inverse est tout aussi vrai. A mesure que je me suis libéré de tout ça. Je me suis enrichi.
Je lutte encore. Quand je passe du temps dans les grandes villes, où les publicités t’assaillent, je me surprends encore à me dire: “Tiens, j’ai envie de ça!”.
Mais cette prise de conscience a été un grand soulagement.

J’ai réussi à larguer beaucoup d’amarres, à me libérer d’attaches matérielles. Je n’ai pas de loyer à payer, ni de téléphone. Rien de ce qui peut retenir.
Je n’ai pas d’endroit fixe où vivre et j’ai encore la chance de pouvoir choisir quand je travaille, avec qui je travaille et si je suis payé ou non.
Ça a changé ma vie. Je suis arrivé à un degré de liberté très grand. Cette sensation est une source d’adrénaline et de bonheur très puissante. Je suis devenu très protecteur de cette liberté là.

En creusant un peu la notion de bonheur, je me suis aperçu que les recettes étaient un peu toutes les mêmes: se détacher du matériel, faire des choses pour les autres. Les gens les plus heureux sont souvent ceux qui utilisent leur temps pour aider.
Désormais depuis trois ans, je suis clown et je fais le tour du monde. Je ne fais plus que ça, soit en tant qu’intervenant dans différents endroits soit en me formant avec d’autres maîtres.



CHAPITRE II



Faire le choix d’abandonner une vie “classique” peut paraître compliqué.
Pour suivre ce chemin, j’ai dû revendre l’appartement que je venais d’acheter, quitter un super boulot et m’éloigner de mes amis. C’était de gros obstacles sur le moment mais finalement avec le recul, ça n’était pas si infranchissable. J’ai connu plusieurs carrefours dans ma vie et maintenant toutes ces bifurcations ne sont plus que des petits recalibrages que je questionne moins.

Ma vision de la vie était très programmée et basée sur des clichés de la société: boulot, famille, enfant, crédit… C’était mes plans A et sur le papier, ils sonnaient justes. Ce sont en général les voies les plus simples, qu’on prend par mimétisme. Comme des lignes droites. Aujourd’hui, je crois plus aux plans B, à ces solutions qui se présentent à vous sans les avoir anticipées.

Au début de ma vie professionnelle, j’avais pourtant le sentiment d’avancer dans la bonne direction. J’avais un appartement. J’étais professeur d’espagnol. Je franchissais les jalons un à un. Mais je ne m’épanouissais pas dans ce modèle. Je n’arrivais pas à me fondre dans le moule de la société traditionnelle catholique d’immigrés italiens d’où je venais. Ma famille a vite compris que je n’allais pas suivre leur plan. Mes parents ont fait beaucoup d’efforts pour s’intégrer au système français. Et être fonctionnaire, comme je l’étais, était pour eux le graal. J’ai finalement fait le choix d’une voix plus sinueuse, moins aisée mais plus proche de ce que je suis.

Je me souviens de leur inquiétude immense quand après seulement cinq ans d’enseignement je leur ai dit que je quittais Paris pour aller en Espagne et devenir acteur. Mais après trois ans passés là-bas, et voyant que je m’en sortais correctement, ils se sont apaisés.
Heureusement, j’ai deux frères qui rentrent un peu plus dans les cases. Ça les soulage un peu.

Ce n’est pas de la rébellion mais simplement, je ne crois pas que les mêmes règles de vie puissent s’appliquer à tous. Il est impossible que le même scénario convienne pour tout le monde.

Je reviens souvent en France.

Il y a certains amis que j’évite car leur mode de vie m’affecte. J’ai une impression de vide et ça m’ennuie. C’est évidemment difficile de leur expliquer mes choix et ma façon de vivre. Ils projettent leurs propres craintes sur moi. Mais ces peurs ne m’appartiennent pas. J’ai appris à mettre des filtres car maintenant j’ai vraiment l’impression que je vais dans le bon sens.

Avec d’autres, je peux mieux parler. La chance que j’ai est d’être entouré d’un groupe d’amis en qui je me retrouve. C’est un noyau très dur. Ils sont objectifs à l’égard de mes décisions qui peuvent paraître déraisonnées sur l’instant. Ils restent souvent sceptiques mais en même temps ils ont l’habitude de mes pirouettes.
Cela m’ennuierait de ne pas réussir à les convaincre que mes choix sont les bons. Leur opinion est importante et leur désaccord me peine. Mais ce n’est en aucun cas un frein.
Je me suis détaché de ce qu’on pouvait penser de moi, même si la pression de la norme existe. Je n’ai pas d’appartement fixe. Je n’ai pas de couple fixe. Je n’ai pas de rentrée d’argent fixe. Je bouge tout le temps. Donc mes amis et ma famille seront toujours inquiets pour moi même si cela reste une douce pression. Ils ont appris à me faire confiance.

J’ai toujours été très sociable mais de plus en plus j’apprécie la solitude. Lors de longues où je ne suis pas seul, je ressens comme un vrai besoin de me retrouver avec moi.

J’ai eu quarante ans, il y a six mois.

Maintenant pour moi la prochaine étape est d’avoir mon propre café artistique et humanitaire qui servirait de siège à mon association. Cela me permettrait de générer de l’argent pour pouvoir faire mes missions, mais aussi d’y inviter les artistes que j’ai pu rencontrer lors de mes voyages. L’idée est de pouvoir faire connaître les pays que j’ai traversé à travers leurs créations; et non à travers le misérabilisme, les photos de gamins qui pleurent ou qui ont faim, etc.

Aujourd’hui, j’ambitionne de m’installer à Séville, il y a un master en art-thérapie qui m’intéresse. J’ai très envie de développer cet aspect et d’avoir encore plus d’acuité psychologique. Je veux parfaire mon art et je souhaite que mes ateliers de clown aident plus de gens et mieux.
De plus, Séville est une ville que je connais bien et qui est en pleine mutation. Peut-être est-ce l’endroit idéal pour ouvrir ce café.
Définitivement, je me sens proche de l’Espagne.

Pour l’instant cela me réussit de faire confiance à mon intuition et à mes tripes. Je me connais de mieux en mieux. Si je passe trop de temps à réfléchir sur un projet c’est que je n’ai pas envie de le faire. Le “oui, mais…” est pour moi un “non”. C’est une question d’instinct.
Grâce à cela, les chemins que j’ai empruntés se sont avérés beaucoup plus cools que ce que j’avais préalablement imaginé.

J’aimerais faire encore plus, sortir complètement du système et encore mieux respecter l’environnement. Là aussi il y a des limites, on ne peut pas tout se permettre. Mais plus ça va et plus j’ai l’impression d’être à quatre-vingt pour cent en adéquation avec ce que je suis, ce que je pense et ce que je veux être.

Je me définis comme un français italien de quarante ans, professeur, comédien, auteur, clown et globe-trotter.

Désormais, la bienveillance et la gratitude baignent mon rapport au monde et à l’Autre. J’ai l’impression que même l’univers me répond différemment.

Il me fait rire.


En ce temps de confinement, de déplacements restreints, je voulais que cette nouvelle publication de RSH nous fasse voyager un peu par procuration. Saint-Augustin l’affirmait: « Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page. » Et j’ai l’impression que David a déjà dévoré quelques chapitres.

Ce que je retiens de notre échange est un véritable amour de la vie et des autres.
Il se passe toujours un temps très long entre le moment de la rencontre et la publication des récits. Mais le parcours de David m’a accompagné durant ces mois comme peu d’autre. J’ai particulièrement été touché par son histoire et elle continue aujourd’hui de m’inspirer très intimement.

Le voyage ne guérit rien mais il permet parfois de se trouver. David en est le témoin.
« Tout ce que vous avez à faire, c’est de décider de partir et le plus dur est fait. » (Tony Wheeler)

Et vous où partez-vous ?

— Fred

Texte: © Tous droits réservés – 2020
Photo: © D.C.C.C



RSH1977@A