Récit

LAURIANE, 28 ans: « J’ai préféré sauter dans le vide. »

LAURIANE, 28 ans :

L’inconnu reste quelque chose qui m’effraie. J’apprécie ce qui est habituel. Je n’ai pas le sens de l’aventure. C’est pour cela que la décision de partir dans un autre pays pour faire une thèse de neurosciences était une assez grosse prise de risque pour moi. Ce n’était absolument pas dans ma nature.
Il y a trois ans, après mon Master, j’ai hésité entre continuer mes études et trouver un emploi. Finalement en juillet 2015, j’ai trouvé un poste pour faire ma thèse à Zurich.
J’ai dû passer deux entretiens avant d’être acceptée; et entre les deux mon frère est décédé.



CHAPITRE I

Mes parents étaient là pour la seconde entrevue. Ils s’en étaient voulu de ne pas être venus à la première. Ça a été l’excuse pour organiser un roadtrip et être ensemble après la disparation de mon frère.
J’ai fait ma présentation devant les chercheurs suisses et je suis sortie de la salle. Ça leur a pris environ cinq minutes pour valider ma candidature et m’embaucher. Un peu à la surprise générale.

Là, j’ai dû dire oui ou non.

Il y a toujours une différence entre envoyer des C.V.s à l’étranger et partir vraiment. Je savais qu’il me faudrait assumer ce choix. L’intention et l’action sont deux choses bien différentes.
D’un coup, là dans cette salle devant eux ça devenait réel. C’était une décision à prendre d’instinct. On m’a un peu pressée. J’ai donné mon accord.

Il m’a fallu un peu de temps pour digérer tout ça, pour me dire que j’allais vraiment vivre là-bas pendant trois ans minimum.

Tout s’est enchaîné rapidement. Peut-être trop rapidement.
C’est pourtant ce que je voulais mais en même temps j’avais trouvé une formation plus professionnalisante à Nice, ma ville de naissance où j’habitais encore.
A ce moment, j’aurais encore pu abandonner l’idée de faire une thèse et finalement rester chez moi dans mon confort.

Mais mes proches ont toujours étaient très encourageants. Mes parents m’ont dit: “Ça va être dur mais c’est le mieux pour toi.
Pour eux, ma passion était de faire de la science. Mon petit ami aussi s’est aligné sur l’avis général. Donc c’était la bonne chose à faire.

J’ai préféré sauter dans le vide.

Effectivement, les premiers mois ont été très difficiles. Il m’a fallu penser à tout. Et la Suisse n’est pas l’Europe au final, ce qui rendait l’organisation compliquée. Le logement, le planning des allers retours, les appels skype pour garder contact… tout était indispensable à mon équilibre.
J’étais loin de mes proches et de mes repères. Je n’avais encore jamais été seule dans un pays étranger. A vingt-quatre ans, je n’avais pas été plus loin que Marseille pour mes études, et encore je rentrais tous les week-ends.
Être éloignée de chez moi par quatre heures de train était déjà beaucoup. Ça me vient de mon éducation familiale. Ma mère porte les origines italo-arméniennes avec tous les clichés de la famille soudée qui se réunit tous les dimanches. J’ai ce goût du cocooning centré sur les liens familiaux.

Sans oublier que je commençais tout ça juste après le décès de mon frère. Ça n’a pas aidé. Sa mort nous a surpris en avril, j’ai passé l’entretien en juillet et j’ai emménagé en septembre. Je suis partie tellement vite que je n’ai pas eu le temps de faire mon deuil correctement.

Ma dépression a été comme une bombe à retardement.

Les premiers temps la distance physique était aussi une distance psychologique. La violence de l’absence de mon frère me submergeait les week-ends où je rentrais et me laissait plus ou moins en paix le reste du temps.
Puis les soucis au travail se sont accumulés et ont ajouté du poids à tout ça. Je me suis rendu compte que ce n’était pas fait pour moi. C’est un milieu très dur, très toxique. Il n’y a aucune stabilité professionnelle et aucune prise en compte de l’humain.
Je me suis noyée.
Là, j’ai été diagnostiquée avec une dépression et un syndrome de stress post-traumatique.

J’ai dû dire adieu au rêve, peut-être trop naïf, que j’avais d’une carrière dans la recherche scientifique.
C’est une étape par laquelle beaucoup passent car globalement, de tous les thésards, cinq à huit pour cent seulement se voient confier un poste fixe.
En discutant avec d’autres chercheurs, j’ai compris que mon diplôme pourrait me donner d’autres débouchés que la recherche. En abandonnant ce rêve, je sais que je me suis ouverte aux opportunités.
J’arrive à voir les choses comme ça maintenant. J’ai vite appris beaucoup de choses sur moi-même. Il le fallait. Pour ma santé mentale et mon développement personnel. Je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas.

Je crois que le décès de mon frère a eu une influence indirecte sur moi.

Je suis de plus en plus sortie de ma zone de confort. Par exemple, et je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, je me suis ouverte socialement. J’ai un peu plus investi Twitter. Je m’en suis servie pour avoir des contacts et avoir un peu plus de présence sur les réseaux sociaux. Ce qui n’était pas habituel chez moi. Ça c’était quelque chose que mon frère maîtrisait bien plus que moi. La personne sociable c’était lui.

Je cherche toujours autant la stabilité, et ça me rassure encore, mais je sais maintenant que pour mon bien personnel j’ai besoin de me pousser, d’avoir des activités où je me fais un peu violence. Partir est une aventure qui a changé la vision que j’avais de moi-même. Ça m’a pas mal changée psychologiquement.
J’ai toujours peur de l’échec mais désormais rien ne m’empêche plus de tenter parce que j’y vois la possibilité d’une évolution positive.

Et encore aujourd’hui quand je fais quelque chose, je me demande comment mon frère aurait apprécié cela. Ça joue sur mes décisions. Aurait-il aimé me voir faire une formation speech pour combattre ma timidité ?

Et surtout est-ce que ça l’aurait fait sourire ?


Quitter le confort familial pour poursuivre ses études est une des premières grandes décisions que beaucoup font.
C’est souvent une date marquée d’une pierre blanche sur les calendriers de nos vies. Certains l’ont attendue avec impatience d’autres avec crainte.
Le contexte du départ de Lauriane reste particulier. Un décès soudain est venu compliquer un questionnement qui n’était déjà pas simple pour elle.
J’aime à croire que son choix a été déterminé par une inspiration bienveillante.

— Fred

Texte: © Tous droits réservés – 2019
Photo: © L.N.



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