Récit

INES, 25 ans: « Je finis toujours par prendre la…

INES, 25 ans :

On m’a dit d’arrêter de perdre du temps à vouloir choisir la voie de droite ou la voie de gauche car je finis toujours par prendre une troisième voie à laquelle je n’avais pas pensé.

J’ai essayé pendant longtemps d’être une petite fille sage avec de beaux cheveux longs de princesse mais j’aime les cheveux courts à la garçonne.
J’ai essayé de me conformer aux idées de mes parents en faisant une faculté de lettres mais je voulais être chorégraphe.
J’ai vraiment essayé de me conformer aux clichés mais un jour ça a pété.



CHAPITRE I

J’ai fait une dépression.

En troisième année de faculté de lettres, j’ai accepté un emploi d’avenir “professeur”. C’était ce à quoi je me destinais donc j’ai voulu essayer. Mais ça ne me faisait pas vibrer. Ça m’a posé question.
J’ai ensuite fait une expérience. Depuis que je suis gamine mon entourage me dit que je parle trop, que je me mêle trop des affaires des autres; alors j’ai décidé d’arrêter de parler. Personne ne s’en est inquiété. Personne n’est venu me demander pourquoi ou ce qui se passait. Ça m’a soufflée. J’en ai conclu que tout le monde s’en foutait.

Donc mon projet professionnel venait de changer, j’ai compris que je ne serais jamais une jolie professeure bien sage. Et autour de moi, j’étais convaincue que les gens me détestaient, que j’étais le vilain petit canard. Je m’étais imposée une vision de la vie qui n’était finalement pas la mienne. D’un coup ma petite voix intérieure m’a crié: “pas ça!!”
Je me suis crashée.

J’avais l’impression de construire un personnage qui n’était pas moi.

C’était quelqu’un d’autre mais pas moi. Je l’ai reproché à mes parents. Sans m’en rendre compte, j’avais l’impression d’avoir chopé tous les stéréotypes de la petite fille gentille, polie, qui ne parle pas fort, qui ne dit pas de gros mots, qui est coincée dans sa sexualité. Tout ça m’avait été transmis. Et j’avais insidieusement glissé vers ça.

J’ai ensuite été suivie par un psychologue mais je l’ai un peu caché à mes parents. Je ne souhaitais pas qu’ils le voient. Un peu par fierté. Ils voyaient bien que je n’allais pas très bien mais pour eux ce n’était qu’une déprime. Ils n’avaient aucune idée de ce par quoi je passais.
Je faisais de grands sourires et je pleurais dans ma chambre. Je me cachais.
C’est pendant cette période de dépression que j’ai commencé à peindre avec mes mains. Avec le recul je trouve ces tableaux d’une violence terrible mais ils illustrent parfaitement tout ce que je gardais sous le coude, tout ce que je taisais.

Il fallait que ça sorte d’une façon ou d’une autre.

J’ai eu des idées suicidaires. Mon rapport au monde est parfois tellement exacerbé que je pars vite dans les extrêmes. La question n’était pas d’aimer la vie ou non, mais d’arrêter la souffrance que “trop ressentir” peut être. Parfois ça submerge et on ne peut pas faire autrement que de trouver un moyen d’arrêter le flux. La mort devient une solution. Cela choque les gens quand j’en parle.
Je crois en les vies antérieures et je sais que je suis souvent morte par suicide. Dans cette vie là je pense avoir dépassé ça. Ça a toujours était une des questions qui m’ont fascinée. J’ai eu des envies de ça mais j’ai compris le processus, ce qui m’a attirée là-dedans. Quand quelque chose te fait peur ou te plait, il devient nécessaire de l’apprivoiser. J’ai besoin de creuser. C’est fascinant.

Je suis persuadée qu’il faut oser le dire.

Parler de ses failles reste un aveu de faiblesse. Mais cette image de l’humain infaillible, au-dessus de tout sonne creux. Un vrai bel humain, c’est un humain qui assume ses imperfections, ses asymétries. C’est ce qui rend cet humain unique et donc beau.
C’est le bizarre qui m’attire. Moi je vais vers les gens vers lesquels on va le moins, car ils sont moins sexy, moins dans la norme, moins tout.
Étrangement, je suis perfectionniste mais, chez les gens, je suis d’abord touchée par les imperfections, ensuite je regarde le reste.

Ce qui m’a sauvée est d’avoir réussi à m’exprimer par l’art et par la danse. C’est pour cela que j’encourage les gens aujourd’hui à ne pas attendre le trop plein, à comprendre vite que sans soupape tu peux plonger. C’est pour cela qu’il faut arrêter de se prendre au sérieux. Il faut s’en foutre.

Pendant la dépression, j’ai cherché à mettre des mots sur ce que j’étais: enfant indigo, médium, HP (ndla: Haut Potentiel). J’ai besoin de conscientiser, d’avoir un vocabulaire très précis sur ma vie intérieure, mes émotions, mes images.
Trop de gens ignorent leur vie intérieure et je n’étais simplement pas en harmonie avec la mienne.



CHAPITRE II



J’avais une amie qui était professeur d’allemand. Elle avait les cheveux longs, un appartement, un chien. Au fond c’était une fille que j’avais peur de devenir. Elle me renvoyait quelque chose que je ne voulais pas être. J’ai essayé de la bousculer. Mais c’était trop pour elle et, après huit ans d’amitié, elle m’a demandé de ne plus lui parler.
Pour elle j’étais devenu trop libre et pour moi elle était trop fermée.

Je n’ai jamais eu vraiment d’amitié stable. J’ai des cycles de deux ou trois ans. J’ai fait un travail sur moi et j’ai changé. C’est normal que les relations bougent.
J’ai eu de très bons amis mais tu te rends compte que tu n’as plus grand chose à leur dire, que tu as passé un cap et pas eux.
Pour cette raison les relations amoureuses, pour moi, c’est le chaos. Je découvrais des facettes de moi au fur et à mesure donc je n’étais plus la fille que j’étais en début de relation. Nos envies n’étaient plus les mêmes. Il n’y avait plus de synchronisme.

Ce qui agace, c’est l’écho des changements qu’eux n’ont pas osé prendre. Et ça, ça éloigne.

Maintenant, j’ai l’impression que les gens viennent vers moi car je suis libre.

Je suis mon propre objet d’étude et j’en tire une certaine acuité que je peux aujourd’hui partager pour le bien d’autres personnes. Mais inspirer de la fascination est un risque que je ne veux pas prendre. Je ne veux pas de supporter. J’ai peur qu’on ne me voit plus que comme une coach.

En ce moment je vais très bien. J’ai l’impression qu’on m’a enlevé des couches de peau. Tout ce que je ressens est à fleur.

Ma licence de lettres me destinait à être professeur. J’y ai découvert mon goût de la transmission mais pas celui de l’éducation nationale. J’ai finalement fait le choix de valider une première année de master en Lettres et une seconde en économie.
Je ne suis pas que artiste et je ne suis pas que coach de vie. Je suis tout ça: une facilitatrice en cohésion sociale et épanouissement personnel.
C’est ma fameuse troisième voie. Je me suis découvert entrepreneuse.
Je cherche l’harmonie entre la créativité, l’économie et le territoire.

Depuis que j’ai créé ma boite je me sens en phase, grâce aussi à la rencontre de gens bienveillants qui m’ont aidée à faire de ma “bizarrerie” une proposition entrepreneuriale.

Le rapport au temps est dingue. En très peu de temps tout est venu. Quand tu es alignée, tu n’as qu’à suivre le flot. Le fil se déroule.
Je crois de plus en plus à la synchronicité. Au début tu crois être folle mais plus tu es ouverte plus tu vois. Les choses arrivent quand elles doivent arriver.
Un jour tout se met en place. Tout fait sens. Tu te sens entière et plus comme des petits bouts éparses. Tu acceptes tes contradictions.
Je sais désormais qu’il me faut un peu de lâcher prise et un peu de contrôle.

Avant j’avais la peur de ne pas satisfaire, d’être encore poussée à la marge. Je m’inquiétais de comment cela allait être reçu. L’harmonie étouffe un peu ça. Comme ce sont des choix en phase avec moi-même, il n’y a plus de raison de craindre quoi que ce soit. Maintenant les décisions s’enchaînent et la peur du jugement de l’Autre est moins présente.

Je me sens surpuissante.

La gamine qui avait peur du noir, de l’eau, de plein de choses est loin. Je ne crains plus rien. J’ai 25 ans. J’ai toute la vie devant moi et mon envie d’expérimenter est plus présente que jamais.

Aujourd’hui, il n’y a rien que je voudrais changer. Je me sens moi.
Il m’a fallu me crasher pour comprendre l’importance de m’écouter. La dépression a finalement été un mal pour un bien. Ça m’a permis d’aller fouiller dans les profondeurs. Je me suis intéressée à déconstruire tout ça et je me suis départie de tout ce qui ne me faisait pas écho.
Exactement comme quand je me suis fait couper les cheveux court. Je me suis reconnue.

Depuis, j’invite les gens à se reconnaître. Il faut que ce que tu vois corresponde à ce que tu ressens. La forme en cohérence avec le fond, comme une oeuvre d’art. Pour ça, il est nécessaire de questionner ce qui est de l’ordre du choix intime ou de l’influence globale.

D’où l’importance de s’écouter. Quand tu es en phase, ta voix arrive à se faire entendre. Je ne crois pas qu’il faille chercher qui nous sommes. Il faut juste s’en souvenir.

Tout est déjà là.


Inès a sur le corps les traces des victoires et des épreuves qui ont façonné sa vie.
J’adore le fait qu’elle se considère comme un objet d’étude pour elle-même. Apprendre à se connaitre est pour elle une science. Elle a un vrai besoin de comprendre, de mettre des mots, de garder une certaine maîtrise. C’est l’apanage de ceux qui ont touché le fond: tout faire pour ne plus avoir à mener une bataille qu’on a déjà connu.

Sa route n’en est encore qu’au début, toute sa vie est devant elle, et sa maturité restera probablement sa meilleure alliée.

— Fred

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Photo: © I.C.

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