Récit

JOSÉPHINE, 30 ans: « Je ne me suis jamais autorisée…

JOSÉPHINE, 30 ans :

Ça fait un an que je vois ma vie comme un électrocardiogramme plat. Je ne suis pas malheureuse mais j’ai le sentiment d’un vide. Ma vie est tombée dans une espèce de routine où il n’y a plus de chaleur.
Je crois important de faire confiance à son intuition et parfois, sans trop savoir pourquoi, je ne l’écoute plus. Récemment, elle m’a parlé et m’a dit de quitter mon job. Je bosse dans la finance, et le monde de l’argent ne me convient pas. Les jugements et le manque de valeur m’horripilent. Je n’en suis pas victime mais je n’en peux plus d’être témoin de cette bêtise. Je sais que ce n’est pas fait pour moi.



CHAPITRE I

Il y a des jours où la perspective de la démission me parait évidente et d’autres où j’ai l’impression d’être une adolescente en pleine crise qui dit non à tout mais sans rien proposer pour la suite. Je me trouve plein d’excuses pour ne pas partir. D’un côté je m’inquiète de ce que les autres peuvent penser et de l’autre je me persuade que je ne saurai pas assumer ce choix. En plus, le temps chômé me fait peur, je crains de m’y perdre.
Toute cette argumentation que je me fabrique est un peu ce qu’on appelle la “raison”, ce truc un peu noble qui sert d’étalon au plus grand nombre mais qui, pour moi, empêche d’avancer.
Ma solution est certainement dans le déraisonnable et c’est aussi compliqué à admettre qu’à faire admettre.

Tout commence avec soi.

C’est aussi une question d’estime. Si tu ne t’aimes pas alors comment pourrais tu être capable d’être en phase avec les gens et le monde ?
Démissionner est aussi un moyen de me prouver que je suis capable de prendre ma vie en main. Je dois me respecter suffisamment pour ne pas accepter de composer un personnage qui supporte sa collègue ou qui tolère des tâches ingrates en échange d’un salaire conséquent.
J’aurais pu continuer à me mentir et être très malheureuse en décidant de rester à mon poste mais il y a un temps pour me résigner et un temps pour reconnaître que ce n’est pas fait pour moi.
Au fond, mon boulot ne me ressemble pas, alors il faut que je me donne les moyens d’être plus proche de ce que je suis. Je ne suis pas bonne dans mon job et ce n’est finalement pas très grave.

Peut-être que c’est le palier des trente ans qui m’a obligée à me demander: “Mais… tu fais quoi de ta vie là ?”

En fait, j’en sais rien.

Je me suis rendue compte que je ne me connais pas.

“Est-ce vraiment moi ?”, “Quand étais-je moi-même pour la dernière fois ?” sont des questions que je ne me suis jamais posé. Je me les pose maintenant et c’est compliqué car je suis très idéaliste. J’ai des principes auxquels je suis attachée et je ne supporte pas le faux. Du coup je me demande si j’ai toujours respecté ça chez moi. “Quand ai-je commencé à tricher ?”. “Me suis-je assez affirmée?”.
C’est cette introspection que j’essaie de mettre en place et je me suis dit que ça devait commencer avec la fin du taf.

Si je veux être la personne que je souhaite être, il faut que dans toutes les situations je sois en mesure d’affirmer ce que je suis et ce que sont mes valeurs.
A l’annonce de mon projet de départ, mes collègues ont carrément été négatifs. Ce choix les perturbe. L’un d’eux m’a même mise en garde sur l’inévitable baisse de salaire que j’allais subir. Pour lui c’était impensable de quitter son poste luxembourgeois pour un salaire moindre.
Je n’ai pas su quoi lui répondre. Je n’ai pas osé lui dire que pour moi ça n’avait vraiment pas d’importance. J’avais peur de le blesser alors j’ai botté en touche.
Face à lui, je n’ai pas réussi à assumer mes convictions. C’est un peu comme avec mes proches, je me sens obligée de prendre le rôle du conciliateur.

J’ai toujours le sentiment qu’on attend quelque chose de moi.

Que ce soit en société ou avec ma famille, cette impression ne me quitte pas.
En y réfléchissant je ne sais pas si c’est vraiment ce qu’on attend de moi ou si c’est juste le plus facile pour moi.

On est huit dans la famille. Mon frère jumeau et moi sommes les derniers. J’ai longtemps été convaincue que se mettre en retrait était parfois préférable à donner un avis supplémentaire qui risquait faire dégénérer la discussion. J’ai toujours été celle qui n’avait jamais de problème, qui ne faisait pas de vagues.
Mais récemment, ça a changé. J’ai moins envie de jouer le médiateur donc les rapports s’inversent. Je suis plus en opposition, essentiellement parce que j’adopte un schéma de vie différent de celui de mes frères et soeurs qui, eux, ont un boulot stable et une vie de famille.
Même physiquement, je suis celle qui a pris du poids alors que mes soeurs sont très élancées et que mon frère est plutôt sportif. Ça reste superficiel mais ils me le soulignent régulièrement. Ça m’obsède un peu.
C’est vrai qu’il faut que j’arrête de mal bouffer, de fumer, de picoler. J’ai fait n’importe quoi avec mon corps pendant des années comme s’il ne m’appartenait pas. Je m’en sers, sans vraiment penser qu’il est à moi et sans me soucier du fait que je n’en ai pas d’autre. Comme ma vie finalement.

Avec mes choix et mes envies, j’affiche une différence et je crois que ça pose problème. Pour autant, je ne ressens pas de pression. Je sais parfaitement que mes parents souhaitent juste que je sois heureuse et que s’ancrer dans un schéma de vie classique ne servirait qu’à les rassurer. Je ne nie pas que ce schéma me tente beaucoup mais je reste convaincue que ça n’arrivera pas tant que je n’aurai pas réglé d’autres soucis. Trouver le bon travail en est un. Faire la paix avec mon corps aussi.



CHAPITRE II



J’ai vraiment la sensation d’avoir manqué des étapes dans ma propre construction et d’avoir laissé des choses en plan qui me causent du tort aujourd’hui.
J’ai dû régler pas mal de problèmes familiaux qui m’ont empêchée de me concentrer sur moi.
A cette époque, ma seule envie était de partir. Étudier et quitter le cercle familial, sans autre objectif que celui-là. Même le choix de mes études étaient accessoire.
J’ai cru quelques années que, une fois loin, tout allait être bien et facile. A vingt-cinq ans je me suis pris une bonne claque en me rendant compte que ça n’allait pas être aussi simple. Je n’étais pas heureuse là d’où je venais mais il n’allait pas suffire d’en sortir pour que tout roule.

La vie d’adulte, c’est galère en fait.

Je n’avais pas de stratégie et je n’en ai toujours pas. Je suis trop passive. Avant je pensais que ça arriverait par l’autre. J’en étais persuadée.

Ça fait maintenant deux ans et demi que je ne suis plus en couple. Pour l’instant ça ne me manque pas. J’ai l’impression d’avoir tellement de boulot à faire avant que je n’ai pas de place pour ça.
Aujourd’hui ça m’effraie que quelqu’un entre dans ma vie et vienne prendre une trop grande place. Je n’ai pas envie d’être dominée par une émotion dans laquelle je pourrais disparaître. J’ai peur de ne pas trouver l’équilibre comme ça a pu être le cas pour mes relations passées.
J’ai comme réflexe de me distancier des gens pour ne pas trop leur montrer mes faiblesses ni trop leur demander de soutien. Pas que j‘ai du mal à donner ma confiance mais je ne veux simplement pas être un poids. Je me dis que si je ne peux compter que sur moi-même alors je prouverai ma force de caractère.

Je ne m’étais jamais rendue compte avant de tout ce que j’avais à régler avec moi-même.
J’étais dans le flot de ma vie sans trop me poser de questions. Je crois que c’est ma rupture qui a mis en lumière ces questionnements.
Mais jusqu’à aujourd’hui mon intuition n’est pas très claire concernant la direction à prendre. Et ce vide est effrayant.
Je sais reconnaître mes compétences mais je ne sais pas comment les utiliser.

Mon entourage pense aussi que je peux faire autre chose, que je peux faire mieux. Donc mon avenir dépend de moi.

Je me suis inscrite au concours des professeurs des écoles. Ma mère et ma sœur sont très enthousiastes pour cette voie. C’est une des possibilités qui pourraient me convenir. Mais cette idée va et vient.
Parfois je suis motivée et parfois j’hésite. J’ai peur m’y enfermer. Je ne suis pas certaine d’être faite pour le ministère de l’éducation et le fonctionnariat.
Je crains de ne pas en être capable.

Je ne me suis jamais autorisée à vivre ma vie à fond.

J’ai toujours eu l’impression qu’un truc m’était interdit.
Ce que je n’avoue pas vraiment est que je veux quitter mon travail car il ne me laisse pas assez de temps pour ma passion. J’aimerais que le chant et la musique soient plus centraux dans ma vie. Là aussi je suis hésitante.
Soit je trouve le bon job qui me permettra de m’épanouir et je pourrais considérer ma passion comme un loisir.
Soit mon prochain job ne me prendra pas trop de temps tout en me permettant de vivre et j’accorderai une grande place à la musique.
C’est un regret de ne pas m’y être totalement consacrée, de ne pas y avoir assez cru, alors qu’au fond j’ai l’impression que ça serait possible d’en faire mon métier.
Là, mon intuition me murmure: “Pourquoi pas ?”. Je fais partie d’un groupe et on va faire de la scène.
Mais je doute d’oser le dire à mes parents. Succès ou non. Ce serait trop hors norme pour eux.
Je sais comment ils sont alors je me sens obligée de tempérer mes choix pour éviter le clash alors qu’il me faudrait être plus radicale.

Je comprends qu’il faut avoir moins peur, qu’il faut se débarrasser des poids qui sont à l’origine de l’inertie. Il est indispensable que je réussisse à me faire plus confiance et à être plus positive.
Et je sens que je commence à l’être donc j’essaie aussi d’être indulgente avec moi-même sur le temps que tout ça peut prendre. Il m’a fallu ces années d’errance pour comprendre aujourd’hui la manière dont je fonctionne.

Je dois me servir de tout ça pour apprendre à prendre soin de moi.
Pour l’instant, je ne sais pas le faire. Mais ça va aller vers du mieux.

J’en suis sûre.


Le récit de Joséphine a cela de particulier qu’il ne concerne pas un choix fait, mais un choix à faire. Elle se trouve encore dans l’œil du cyclone. Elle est dans le tourbillon des questions, des doutes, des émotions à fleur de peau.

La route vers soi est toujours la plus sinueuse.

— Fred

Texte: © Tous droits réservés – 2019
Photo: © F.L.B.T.



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