Récit

MARION, 38 ans: « Trouve-toi une passion. »

MARION, 38 ans:

« trouve-toi une passion ! ». C’est ce que m’a dit une collègue il y a quatre ans. Elle est aujourd’hui l’une de mes meilleures amies. A cette époque, je travaillais dans un bureau où j’étais en train de mourir, tout doucement.

CHAPITRE I

J’étais dans les assurances en tant que graphiste. Mais je n’avais jamais eu de passion, je ne savais pas ce que c’était et j’étais gênée de ne pas savoir quoi lui répondre.

J’ai alors essayé de lister les choses que j’aimais bien faire.
Le but de cette liste était de me donner les moyens de m’accorder du temps, et surtout de m’épanouir. Mais je ne savais pas trop quoi y écrire.
Finalement, j’y ai mis la photographie.

Alors, je me suis demandé ce qu’il fallait faire pour faire de la photo. Je n’y connaissais rien. Il m’aurait fallu suivre des cours, des choses comme ça. Et au final, j’ai tout appris sur internet.
J’ai ensuite appelé un ami photographe de la famille de mon mari pour lui demander de l’accompagner sur des mariages. Tout de suite il y a eu un truc. Il m’a immédiatement laissé ma place et on a travaillé en tir croisé dès le premier reportage. Il m’a même laissé faire des photos de couples ; ça tombait bien parce que lui c’était moins son trip.
Ensuite, il m’a amenée sur d’autres reportages photo et à chaque fois, il montrait mes images aux clients en disant : « Voilà, ce sont les photos de Marion ». J’ai vraiment senti une connexion. Au bout de deux mois, il m’a dit : « Il faut que tu te lances. »

C’était impensable pour moi.

J’avais mon CDI, un bon salaire, des tickets restaurants, mon treizième mois, ma place de parking.
Mais en fait, je n’étais pas bien. Du tout.

Pendant des années, j’avais même des douleurs au ventre. Certains week-ends, j’étais obligée de rester allongée tellement j’avais mal.
Je n’étais pas épanouie, derrière mon écran, dans un service de trois personnes, dans des bureaux à la con. Parfois je ne croisais personne. Les dernières semaines, c’était l’horreur. Les matins, j’y allais en pleurant. J’en pouvais plus. Ce qu’il me fallait, c’était de pouvoir créer quelque chose.

Ça s’est passé au moment de Noël. J’avais deux semaines de congés. J’étais allée voir ma RH, pour profiter d’une vague de licenciements suite au rachat de la société. Mais ils ont refusé de me laisser partir. Pourtant je ne pouvais pas démissionner, j’avais besoin des allocations chômage.
Finalement je les ai appelés, j’étais censée reprendre le lendemain, et je leur ai dit que je ne reviendrai pas. J’ai fini par me faire licencier pour faute mais j’ai quand même pu profiter du soutien de Pole Emploi.

Ça n’a pas été simple pour autant.

Je ne savais pas si j’allais obtenir mon autorisation de commerce car avoir un bureau est indispensable pour en faire la demande. Je n’en avais pas et mon ami photographe m’a encore aidée en me proposant de partager son studio.
Et aussi, je suis graphiste de formation. Est-ce qu’on allait me donner une autorisation pour être photographe ?
Tout ça était en suspens pendant plusieurs mois. Avec les doutes. Est-ce que j’ai fait le bon choix ? Est-ce que ça va aller ?
Mais j’avais enclenché la machine. C’était impossible pour moi de revenir en arrière, de retourner dans un bureau, de faire mes heures. Il fallait que j’essaie, même si j’allais dans le mur. Je ne voulais pas me répéter ensuite: « Putain, et si … ? »

J’ai eu mon autorisation de commerce, et j’ai eu la chance d’avoir une cellule au 1535° pour exercer. En cinq mois c’était réglé. (NDLR: Le 1535° est un vieux bâtiment industriel réaménagé en bureaux locatifs pour les petites entreprises.)

Le truc c’est qu’à la base, ce n’est pas moi qui ai pensé que je pouvais changer de vie. Ce sont les autres qui me disaient : « Il faut que tu changes de vie parce que tu es faite pour ça. »
J’entendais mon mari qui me répétait tout le temps: « Vas-y lance-toi. »


CHAPITRE II

J’étais très entourée. J’ai besoin de ça pour avancer. J’ai besoin de coups de pieds aux fesses et j’ai besoin qu’on me prenne par la main. Comme je ne croyais pas en moi, il fallait que d’autres y croient.  Si mon mari n’avait pas été aussi présent pour gérer la maison, les enfants et les devoirs, tout seul, pendant des semaines et des semaines, en me disant toujours avec le sourire : « Je suis fier de toi, continue ! », je n’y serais pas arrivée.

C’est fort et ça donne de la force.

Ça m’a permis de vaincre ce manque de confiance en moi qui a toujours été présent.
Tout repose sur mes épaules à l’heure actuelle. Je devais me faire violence.

Des personnes vont dire qu’il n’y a pas de raison de devoir en « chier » pour arriver à quelque chose. Mais moi j’ai été élevée par un père qui m’a toujours dit qu’il fallait assumer à 200% et en chier. Du coup j’ai toujours gardé ça en tête

Mes parents sont des personnes qui ont toujours énormément bossé. J’ai grandi dans la valeur du travail. Au début j’étais hyper fière d’avoir atteint le même niveau de salaire que ma mère. C’était mon repère de réussite.
Mais en fait la réussite, c’est dans la tête, pas que dans le portefeuille.
Ils ont bossé. Ils avaient de l’argent. Mais pour en faire quoi ? Ma mère en chie toujours et attend sa retraite avec impatience. Et mon père a vraiment galéré avant d’être en pension.
Ma mère avait le rêve d’avoir une petite crêperie ou un petit commerce comme ça. Et il y a quelques années, je les entendais parler de s’installer ailleurs. Ils n’ont jamais pris le risque.

Quand je me suis lancée, c’était une période où mes parents n’étaient pas à mes côtés. J’avais fait une coupure de presque un an et demi. Et ça n’a pas été simple de faire tout ça sans qu’ils sachent par quels moments je passais. En même temps j’avais cette rage en moi, l’envie de dire : « Je suis en train de me sortir les doigts des fesses et c’est pas grâce à vous. »
En fait, je pense que c’est surtout grâce à eux. Je trouve ça triste qu’ils ne se soient pas donné les moyens. C’est de là que vient cette rage, cette flamme.
Aujourd’hui, tous les deux me disent qu’ils sont fiers de ma réussite.

Finalement, la photographie est un peu, pour moi, comme une thérapie. Le fait d’aller vers les gens. De leur parler.
Au début j’avais très peur. C’était l’horreur. Je venais de nulle part. J’avais tout à prouver. Les mariages, ou même les photos de couple, sont quand même quelque chose de très intime. Mes relations avec les gens n’ont jamais été faciles, j’ai toujours été un peu dans mon coin. Là, j’étais vraiment face à mes angoisses. J’étais obligée d’y aller. Pas le choix. Aujourd’hui encore cela reste de petits challenges.

Je me rends compte maintenant que ce qui m’a beaucoup aidée pour la photographie, c’est d’avoir beaucoup regardé les autres. Je les scrute beaucoup avant de faire partie de leur vie. C’est aussi ce qui me plaît dans le reportage corporate et tout ce qui est un peu « at work » : les gens vivent devant l’objectif et j’ai juste à les photographier. Moi je suis plus dans le « laisser-vivre » le moment. Faire comme si je n’étais pas là. C’est la même chose pour tout.

Comme si je n’étais pas là.

C’est un peu mon leitmotiv dans la vie.

Ce que je fais aujourd’hui, c’est génial. J’ai un immense terrain de jeu.
Les personnes avec qui je travaille, mes nouveaux clients. Tout ça c’est que du bonheur.
Et quand les gens t’appellent, car ils ont entendu parler de toi, pour te demander de faire spécifiquement ce que tu aimes faire, là je me dis que j’ai bien fait.

J’ai une liberté désormais qui peut être difficile à vivre parce que je suis une éternelle stressée. La santé peut aussi en pâtir parfois car quand je m’y mets je m’y mets à fond. Mais en même temps, je me fais plaisir.

Parfois, il faut faire des choix difficiles à vivre. Tu dois sortir de ta zone de confort mais c’est souvent pour le meilleur. On me dit souvent qu’il n’y a pas grand monde qui fait ce pour quoi il est fait. Ça m’est arrivé un peu par hasard mais je ne cache pas que j’en ai bavé aussi.

J’ai toujours été très lucide. Je n’ai jamais eu de rêve incroyable. Là, j’aimerais beaucoup faire un long voyage et faire des photos de mon périple. Je n’ai jamais vraiment réfléchi à la possibilité de le faire avec les enfants et le travail de mon mari, même si un congé sabbatique d’un an peut être envisageable. Et surtout je n’oublie pas que mon rêve n’est pas forcément celui de mon mari.

En ce moment, j’ai une amie qui remet tout en cause. Aussi bien son travail que son ménage. Pour elle, c’est plus délicat dans la mesure où son mari n’est pas du tout un soutien. Mais je n’ai rien d’autre à lui dire qu’il faut s’écouter.
Écouter son cœur, écouter sa voie. Et se laisser une chance aussi.

Actuellement je revis. Tous les jours, je peux voir le bien-être que m’a apporté ce changement de vie. Maintenant quand je fais un sourire à quelqu’un, ce n’est plus un sourire de circonstance.

C’est un sourire bien réel.

J’ai beaucoup croisé Marion un temps. Nous travaillions au même endroit. Dans le même immeuble. Marion était une compétence reconnue et un visage que je saluai tous les jours à travers la vitre de son bureau qui juxtaposait le mien. Pourtant la rencontre ne s’était jamais faite. Sa participation à ce projet ne m’a pas étonné. Je ressens un écho dans son rapport aux autres et dans sa bienveillance. Je tire de belles leçons de son histoire, le courage notamment et le laisser vivre. Mais surtout l’importance de l’autre. Se sentir aidé.
La confiance que les autres nous portent est un carburant qu’il ne faut pas négliger quand il s’agit de prendre une route qui ne nous appartient pas encore.

— Fred

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