Récit

SYLVAIN, 43 ans: « Je suis persuadé que les choix…

SYLVAIN, 43 ans:

Jeune, je n’ai jamais été littéraire. Je ne me suis pas dit: “Tiens, je vais écrire un livre.” J’ai juste eu envie de raconter une histoire. Secrètement, j’ai commencé à écrire sur des carnets des bribes de paragraphes qui sont restés longtemps de côté. Je me suis rendu compte que c’était compliqué d’écrire quelque chose qui ait un peu de sens et qui ne soit pas complètement risible ou mal dit.



CHAPITRE I

Et puis finalement, j’ai tenu bon. Ça m’a pris trois ou quatre ans. Et je me suis rendu compte à un moment que j’allais aller au bout. J’avais mon fil, je savais où je voulais arriver, et je me suis dit:“Je vais écrire un livre.” J’en étais très fier.

Quand j’ai mis le point final, c’était de l’ordre de l’extase. C’était une sensation incroyable comme de gagner un championnat. Un truc très fort. Le livre vaut ce qu’il vaut, j’en ai eu honte, l’écriture laisse un peu à désirer mais l’histoire est pas si mal. Il a le mérite d’exister et de m’avoir amené à en écrire d’autres. Ça n’a pas fondamentalement changé ma vie mais j’étais vraiment content d’y arriver.
Après, je n’ai eu qu’une seule envie: recommencer pour confirmer le fait d’en être capable mais surtout pour revivre l’extase du point final. Et à chaque fois, j’ai retrouvé la même sensation de bonheur.

Dans la vie, à tout moment, il y des choix à faire.

Certains nous demandent plus d’attention car les conséquences semblent plus importantes. Personnellement, j’ai l’impression que les choix que j’ai faits sont des choix que plein de gens ont faits.
Je me suis séparé, j’ai divorcé. J’ai changé de vie professionnelle. Mon histoire est presque une autoroute. Et je reste persuadé que les choix s’imposent d’eux même.

À vingt-deux ans, je suis devenu professeur des écoles, et à trente ans, j’ai finalement travaillé avec mon père dans une boîte d’audit, que j’ai repris en 2009 quand il est parti à la retraite. Il avait eu besoin d’un coup de main, et je suis resté. Finalement, je me suis mis en disponibilité de l’Education Nationale. Ça a été facile. Je n’ai pas pris de gros risques.

Ça fait maintenant douze ou treize ans que je fais ça. Je suis à mon compte, je gagne très correctement ma vie, et j’ai de la chance d’avoir un rythme de vie cool. Pourtant, je me dis qu’au final c’est pas tout à fait ce qui me plaît. Mais j’ai énormément de liberté et je peux faire autre chose comme écrire par exemple.
Je ne remets pas toujours le tout en question, sous prétexte qu’une partie ne me plaît pas.

Il y a deux ans, j’ai eu une année noire.

J’ai perdu plein de monde, ce qui m’a fait prendre conscience de l’inutilité de se plaindre quand on est en bonne santé, dans un bon pays, libre de bouger quand certain ne peuvent pas voyager comme ils veulent. Je tourne le robinet, j’ai de l’eau, alors que beaucoup n’ont pas l’eau courante chez eux. On a accès à l’essentiel. On ne se rend pas assez compte de ça.
Pour moi qui aime bien graduer les choses, je ne me donne pas le droit d’être au dessus de cinquante pour cent de mal-être.

Mes grands choix ont toujours été précédés d’une période de stress et de mal-être qui grandissent en moi de manière régulière et insistante sans pour autant m’emporter dans les “quarantièmes rugissant” ou dans une déprime absolue. Ça n’a jamais été une grosse claque d’un jour mais des petites chaque jour. Et soudain une forte envie de profiter de la vie, de vivre pleinement les choses.

Mes solutions se sont présentées un peu toutes seules. J’ai fait mes choix dans de bonnes conditions, jamais dans la douleur. Il y a quatre ans, j’ai quitté ma femme et j’ai divorcé. J’ai pourtant trois enfants dont je suis très proche. Sur le papier, ce n’est pas le plus simple à faire. J’avais beaucoup d’affection pour mon ex femme, je n’avais rien de spécial à lui reprocher. Je n’étais juste plus amoureux.
Mille fois je me suis posé la question avant de partir mais tout quitter semblait être une décision trop difficile à prendre. Je n’avais aucune envie de leur faire du mal. Finalement, au moment de sauter le pas, ça s’est presque fait tout seul. Les choses se sont enchaînés, simplement. J’ai quitté l’appartement et on a partagé nos biens. Cela semble des moments horribles mais j’étais dans ma bulle et je l’ai fait. Je ne sais toujours pas si c’est parce qu’il le fallait ou parce que j’étais assez fort pour le faire. Juste, je l’ai fait.

Ensuite, il y a comme une sorte de libération un peu longue à venir où ta graduation du bonheur remonte d’un seul coup. Il faut une période pour que ça s’installe, pour assumer, pour accepter certaines choses.

C’est là le plus déroutant quand tu fais un choix.

Tu détruis tout en mettant un grand coup de pied dans ton château de cartes. Tu crois que tu vas conserver certaines choses et en fait non, c’est un vrai redémarrage. C’est presque ça le plus dur: poser des bases, se refaire, reconstruire quelque chose. Tu repars de zéro.

Sur le moment, ça a fait le vide autour de moi. Mon cercle a explosé un peu et je ne l’avais pas forcément anticipé. Il y a eu d’autres divorces et plus personne ne s’est parlé pendant un temps. Chacun a refait sa vie, de nouveaux groupes se sont formés. Quand tout s’est apaisé, j’ai retrouvé des gens que je n’avais pas vu depuis. Aujourd’hui on se retrouve dans des soirées communes. On est tous là. Les nouveaux, les anciens. Il n’y a pas d’animosité.
C’est l’idéal mais ça prend du temps.


CHAPITRE II

[su_dropcap style= »simple » size= »1″]O[/su_dropcap]n est bloqué par nos peurs. Le plus dur est de les identifier clairement. A chaque choix, on se met un peu en danger. Même si on a conscience de ce qui nous effraie, c’est compliqué de lutter contre. Avant de sauter à l’eau, on peut toujours rationaliser, la peur est quand même là.

Je ne sais pas exactement quelle est la mienne. Beaucoup de peurs sont liées à l’enfance, elles sont inconscientes, très ancrées au fond de soi. Elles guident nos envies profondes. Par exemple, j’ai besoin d’avoir beaucoup de reconnaissance. J’aimerais être une star, en tout cas être reconnu du grand public. C’est con à dire, voire pédant, mais c’est sans aucun doute lié à ma crainte de ne pas être aimé.
Ma peur est peut-être là finalement.

Je viens d’une famille traditionnelle française. J’avais plein de schémas de pensée. Le bien et le mal étaient clairement définis. Tout était balisé: trouver le grand amour, se marier, avoir des enfants, une situation, une maison. J’ai un peu tout fait.
Ce n’est pas que je ne crois plus en tout ça. Je continue à être content pour ceux qui m’annoncent un mariage ou une naissance. Mais ce schéma ne peut marcher pour soi que si cela correspond à ce que l’on est.

En divorçant, je me suis dit qu’on allait me prendre pour un salaud

.Mes parents, comme beaucoup d’amis, l’ont mal pris, j’ai eu peur d’être rejeté. Ensuite, j’ai fréquenté une fille de dix ans de moins que moi. J’ai eu peur de ce que pourraient dire les gens. Et quand tu écris un livre, les gens peuvent ne pas l’aimer et donc ne pas t’aimer. Du rejet encore.
J’ai beaucoup travaillé sur ça justement, de différencier ce que je suis de ce que je fais.

Mon quatrième roman m’a été inspiré par l’histoire d’une amie. J’avais envie de raconter l’histoire de quelqu’un de réel et depuis quelques temps, je côtoyais cette fille qui avait une vie un peu particulière. J’ai alors pensé à un début que je lui ai proposé. Elle était tellement enchantée qu’elle m’a filé ses carnets pour les utiliser. J’écrivais et on relisait ensemble. Il n’y a quasiment pas eu de retouches; comme je n’avais pas à inventer trop de choses, j’ai pu me concentrer sur les émotions et le style. Ça coulait tout seul. Je me suis senti bien.
Ce livre vit bien, j’ai de bons retours. J’en suis très content.

Là, en ce moment par exemple, il pourrait y avoir un choix à faire, mais qui est difficile à prendre. Ce serait de tout stopper pour tenter une carrière d’écrivain. Je compte sur ma chance habituelle. J’ai envoyé le livre à des maisons d’édition où j’aimerais le voir publié. Ce serait une consécration. Mais avant de pouvoir en vivre, il faut en vendre quelques uns !
Le cinéma m’intéresse aussi, j’ai d’ailleurs converti mon premier livre en scénario. J’ai eu l’occasion de faire l’audit d’un studio de production, et comme je reste toujours en contact avec mes clients, la responsable m’a demandé de lui envoyer le script. Là aussi une porte s’est ouverte.

Après tout, il faut se lancer.

L’échec n’est pas interdit, ça fait de l’expérience. On a le droit de se tromper sauf si on est en danger de mort. Rien n’est grave. On ne sera jamais à la rue, on est entouré. Il y aura toujours des solutions de repli.

Le plus dur est d’identifier ce que l’on veut, d’être en accord avec soi. C’est vraiment ce que j’essaie d’enseigner à mes enfants: l’importance de se connaître soi.
Sans vraiment bien savoir qui je suis, je m’aperçois qu’il y a plein de possibilités de vies. Là, j’ai une amie qui a quitté son job et son appartement pour faire le tour du monde.
J’aimerais bien que mes enfants voyagent pour être confrontés à des situations étrangères où il faut s’adapter, manger et se déplacer différemment. Ça leur permettra de savoir un peu mieux ce dont ils sont capables.

Certains disent que la chance n’existe pas.

On peut peut-être parler de destin. La solution s’impose d’elle-même. Je ne fais pas de choix, il se résout tout seul; comme une porte de secours qui s’ouvre et que j’emprunte parce qu’il y a le feu tout autour.
Je ne sais pas ce qui l’a amenée là. Sûrement que j’étais suffisamment ouvert pour la voir. Avant ça, je n’étais juste pas prêt.
Un jour, à un moment donné, la porte est là et tu la prends, c’est tout.

A mes enfants, je dis: “Vivez les choses. Expérimentez. Si ça vous plaît tant mieux. Si ça ne vous plaît pas alors passez à autre chose.”
J’essaie de les encourager à s’ouvrir au monde. A être curieux.

Ma crise de milieu de vie (comme elle se doit d’être appelée) a été pour moi comme une tempête qu’il a fallu affronter et devant laquelle j’avais l’impression de n’avoir aucune chance. Chaque vague était le couperet qui allait finir de m’achever. Pour d’autres les vagues sont moins hautes et le vent souffle à peine.
Ce qui me plait beaucoup dans l’attitude de Sylvain est son apparente désinvolture. Se plaindre est inutile. Il a conscience de sa chance et a su avoir le recul nécessaire pour affronter ses difficultés. Rien n’est grave.
Nous avons finalement plus à craindre de ce que nous imaginons être les conséquences de nos choix que de ce qu’elles seront réellement.

— Fred

Texte: © Tous droits réservés – 2018
Photo: © Archive Personnelle / S.P.

RSH1977@A