Récit

SARAH, 20 ans: « J’essaie de construire ma vie. »

SARAH, 20 ans:

Quand j’ai choisi de me lancer dans le cinéma, j’avais l’impression de faire quelque chose de très différent car personne dans mon lycée n’avait pris cette direction. Une fois dans le milieu je me suis rendue compte qu’il y avait déjà pas mal de monde sur cette voie. 
Je savais que ce serait un chemin compliqué, bien plus compliqué que des voies “bateau” comme aller dans une école de “commerce” mais j’ai choisi de faire ce que j’avais envie.



CHAPITRE I

Je pense qu’on a tous le choix d’être des moutons en suivant le chemin qui nous parait le plus simple, mais peut-être qu’en se donnant vraiment les moyens, on obtient quelque chose qui se rapproche de ce qu’on veut vraiment.

Je suis un peu bouleversée. 

En ce moment, je ne comprends pas toujours ce qui se passe dans ma vie. Je ne connaissais que le lycée et là, j’ai un peu l’impression de débarquer. Pour l’instant, je suis en stage mais l’année prochaine je serai demandeuse d’emploi. Ça me fait peur. Est-ce que je vais trouver un boulot qui va me permettre de rentrer dans le milieu, à Paris ou même ailleurs ? 
Mon seul impératif est d’être rapidement indépendante financièrement. Je veux pouvoir me débrouiller par moi-même sans avoir rien à demander à mes parents. Je suis pressée d’avoir un “chez-moi”. Je suis en train de m’émanciper et un emploi me permettrait d’avoir la liberté de faire ce que je veux.

En fait, je me rends compte que je suis paumée. Depuis quelques mois, je ne sais plus où donner de la tête. Je ne sais pas dans quel ordre les choses doivent se passer. Mes amis font des trucs de fous. J’aimerais bien faire comme eux et partir du jour au lendemain, rencontrer des gens, voyager. J’ai envie de faire ça mais je suis freinée par mon besoin de sécurité. J’y tiens.

Alors, j’essaie de construire ma vie.

Je veux être sûre d’avoir des bases solides, de bien démarrer. Je me dis qu’une fois posée je pourrai me demander: “Bon qu’est-ce que tu veux vraiment faire de ta vie ?”
Personnellement, mes objectifs, d’ici dix ans, seraient de trouver une bonne personne avec qui faire un bout de chemin et fonder une famille. Un bonheur simple finalement.
Même si quand je regarde le monde je vois plus de divorces et de familles éclatées, j’ai encore ce modèle de la princesse et de son prince que je garde depuis l’enfance. Je sais que ça semble cliché mais être heureuse comme ça me suffirait. Mes parents ont bien réussi ! J’ai quand même l’impression d’avoir les mêmes interrogations que tout le monde. C’est un chemin classique.

J’hésite toujours très longtemps. Je prends mon temps. Je pèse le pour et le contre. Je maronne souvent et me pose trente six mille questions: “Si je fais ça, est-ce que je vais le regretter ?” En général, je ne me décide que quand je suis au pied du mur, sur un coup de pression.

Au fond de soi, inconsciemment, notre cœur a toujours une préférence.

C’est ce qu’on choisi quand on est au pied du mur. Ensuite je m’y tiens.
C’est un peu comme ça que j’ai choisi le cinéma. Ce n’est pas une passion à la base, mais j’aime bien. Quand j’étais au lycée, je voulais être professeure de SVT à la faculté ou médecin. Mais je me suis mise à faire un peu de montage parce que mon grand-père faisait des films de famille et je ne sais pas pourquoi, la voie du cinéma m’a tentée. J’ai alors passé les concours des écoles en me disant qu’au pire je reviendrai vers mes premiers choix.

Grâce à mon stage, je découvre que ça me convient. Il y du temps de bureau, de tournage, on s’amuse, on rencontre des gens vraiment formidables. C’est du créatif et du pratique. C’est ce que j’aime. J’aimerais faire différents postes pour être sûre de faire le bon choix, même si je sais qu’aucun choix n’est arrêté. L’idée est de découvrir d’autres métiers que je ne connais pas pour avoir une bonne connaissance de la profession. Je sais que si je trouve celui qui me plaît vraiment, je me donnerai les moyens. 

Mais je pense tout le temps à ma sécurité

Même dans ma façon d’aborder ma carrière,  j’ai essayé de limiter les risques en choisissant la voie de la production. Je trouve celle des intermittents moins sûre.
J’ai l’impression que dans la production, je peux me retrouver dans un bureau ou à la télé; il y a un peu de tout. C’est pourquoi j’ai préféré cette voie.
L’objectif ultime serait de devenir réalisatrice et de développer mes propres idées. D’être plus créative. J’ai envie de donner un peu de joie au gens. Ça leur ferait du bien. Je ne me donne pas de deadline sur ça, je veux d’abord voir comment ça se passe.



CHAPITRE II



Tout ça est paradoxal. Le cinéma n’est pas la voie la plus simple. Pourtant personne ne m’a découragée, excepté le producteur de la boite de mon stage qui m’a dit: “Si ma fille avec un BAC S m’avait dit qu’elle voulait faire du cinéma, j’aurais refusé.”
Mes parents m’ont soutenue. Ils ont cherché à savoir s’il existait des écoles pour ça, comment ça fonctionnait. Ils m’ont poussée à me renseigner et j’ai découvert tout ça en même temps qu’eux. Ils m’ont finalement permis de le faire en finançant mon école. Ils ont toujours été derrière moi.

Mes grands-parents se sont inquiétés sur les débouchés mais sinon tout le monde a trouvé ça cool. Mes amis, en leur disant que je voulais être réalisatrice, étaient tous heureux de me voir me diriger vers quelque chose d’un peu différent.
Personne ne m’a dit: “Tu vas galérer.” Même les gens du milieu ont tendance à m’encourager et à me donner des conseils ou des contacts.

Et je sais pertinemment que si je n’y arrive pas, j’ai les capacités d’être serveuse ou de travailler dans un hôtel. Je peux aussi me réorienter ou reprendre des études. Aussi j’aurai toujours des amis, une famille qui pourront me soutenir si j’ai un souci. Tout mon entourage est très uni. Je sais que j’ai de la chance.

Je crois qu’on n’a pas grand chose à perdre en s’autorisant à prendre un mauvais chemin au début. C’est plus simple aujourd’hui de se réorienter et personne n’y trouve rien à redire. Et c’est tant mieux. Après ça m’embêterait mais j’avais envie de cette voie, alors autant essayer.

Cette envie n’étonne personne vraiment. 

Je ne pense pas être en marge de la société, au contraire j’ai l’impression de suivre un chemin tracé. Notre génération est plus dans la découverte. Mes parents, comme mes amis, ont toujours été très ouverts. Avant on était boulanger parce que son père était boulanger. Maintenant c’est plus: “Fais ce qu’il te plaît.”

Les réseaux sociaux aident aussi. On voit ses amis faire des trucs différents. Ça encourage. Ça donne envie.
Il y a tellement de voies différentes, tellement de métiers dont j’apprends l’existence en parlant aux gens. On ne peut pas être en marge ou alors on l’est tous.
Pour moi, il n’y a pas de normalité.

Ceux qui disent “être en marge” veulent se donner un genre. Il n’y a pas de métier hors du commun. Tout le monde fait des choses différentes.
Je pense que mes parents sont heureux de me voir essayer et de ne pas être enfermée.
Ils m’ont toujours laissée très libre dans ce que je faisais. J’ai toujours été bosseuse, toujours à faire les choses droites. Ça me vient de mon éducation, ils m’ont donné de bonnes bases: écouter ce qu’on me dit, et prendre tous les conseils que je peux.Ils doivent se rassurer en se disant que je bosserai toujours assez pour réussir quel que soit mon choix. C’est pour cela qu’ils me soutiennent.

Jusqu’ici ma vie a été très heureuse.

Peut-être que maintenant que je suis à Paris, tout va être totalement bouleversé. La vie n’est pas toujours toute belle, toute rose. Je rencontre des gens, âgés de dix ans de plus que moi, qui ont vécu des choses qui ont assombri leur regard sur la vie. Mon regard va sûrement évoluer aussi.

C’est vrai qu’on a tous peur de l’échec et la crainte de ne pas avoir de toit. On ressent tous ça. Finalement, nos choix sont régis par la peur de l’avenir.
J’étais une bonne élève, j’ai toujours plus ou moins tout réussi. En troisième j’ai eu un dix sur vingt alors que je n’avais jamais eu de note en dessous de quatorze. Je l’avais très mal vécu. Alors oui, j’ai peur d’échouer.

Ce n’est pas que je pense qu’il faut réussir à tout prix mais j’aime que tout soit bien fait, qu’on soit content de moi, qu’on me voit comme une bonne personne. J’ai encore ce désir. J’essaie d’être avenante avec les gens en me disant qu’ils le seront peut-être en retour.

Sans ces craintes, j’aurais plus de culot. J’aimerais faire un tour du monde. Tout plaquer. Passer outre les images et voir ce qu’il y a derrière. Je sais que j’en apprendrai toute la vie mais je me rends compte de l’importance d’être en accord avec soi. De me découvrir vraiment. De ne suivre personne et toujours se fier à ses envies.

Il y a cette phrase que j’ai retenue d’un film: “Il faut se perdre pour trouver l’introuvable, sinon n’importe qui trouverait l’introuvable”

On avance sans jamais trop savoir ce qui va se passer. Je trouve ça beau. Il peut m’arriver plein de choses que je n’ai pas prévues. Alors je tente. Et je me laisse porter.




Ce que me rappelle Sarah, c’est moi.. Une vingtaine d’années nous éloigne mais notre chemin se croise dans les choix de carrière et dans les interrogations. La différence réside peut-être dans une naïveté dont elle semble être exempte. Elle est beaucoup plus ancrée que moi à son âge. Là où j’attendais que les choses m’arrivent un peu comme par magie, Sarah a pris le parti d’en être l’instigatrice.
Son récit me touche par les souvenirs qu’il ravive. Je me souviens de l’appréhension d’entrer dans la vie active, de s’engager dans un monde dont les règles m’étaient inconnues. Des premiers pas dans l’indépendance. Un moment où l’espoir était sans limite.
Aujourd’hui mes choix sont faits, ma route a connu quelques détours mais je peux commencer à regarder le paysage. Sarah, elle, est encore dans la tempête.
Il me vient cette phrase que moi aussi j’ai apprise au détour d’un film: « Pour accomplir ses rêves, la première chose à faire est de se réveiller. »

— Fred

Texte: © Tous droits réservés – 2018
Photo: © Creative Commons

RSH1977@A