Récit

SINDY, 34 ans: « J’ai toujours dit que je serai…

SINDY, 34 ans:

J’ai toujours dit que je serai “la voix des sans voix”. Celle des gens fragiles, des personne âgées, des animaux, des enfants. De tout être vivant qui n’a pas la capacité, quelle qu’en soit la raison, de dire “non”.
J’ai le syndrome du sauveur depuis l’enfance et ça a guidé mes choix professionnels: travail avec des enfants, coaching de vie, actions humanitaires.
Mes épreuves m’ont poussée à m’interroger sur le bien-fondé de ma démarche. J’ai compris que si je voulais à ce point réparer l’autre, c’était pour me réparer un peu moi aussi. Aujourd’hui, j’essaie de sortir de ce schéma.



CHAPITRE I

Dans ma famille, j’ai dû prendre position.

J’ai eu une enfance plutôt brutale. Mon père était très violent. Il y a toujours eu beaucoup de cris, beaucoup de coups. Quand tu es petite, tu n’as pas la possibilité de dire non. Alors tu subis.
Normalement, tes parents sont censés te protéger; quand ils ne le font pas, tu espères qu’un autre adulte va venir. Mais personne n’est venu. Alors, je me suis juré qu’en grandissant je serai, moi, l’adulte que j’aurais voulu rencontrer étant petite.
Que si j’étais témoin de choses, moi j’agirai.

En 2013, j’ai vu ma soeur reproduire le même schéma. Son compagnon était le copier-coller physique et comportemental de notre propre père.
J’ai alors vu ma nièce de trois ans être victime de beaucoup de violence, pas seulement verbale et psychologique mais physique aussi. On peut en débattre mais de mon point de vue, une fessé ou secouer un bout de chou restent des actes violents.

Je connaissais le traumatisme laissée par une enfance violente. Je ne voulais pas être complice.

A cette époque j’étais suivie par un thérapeute qui travaillait également pour la protection de l’enfance. En lui parlant de tout ça et de mon inquiétude, il m’a aidée à trouver le courage d’appeler les services sociaux.
Sur le moment, je ne me suis pas sentie très bien. Je savais ce que cela allait engendrer.

Je suis devenue le monstre, la paria.

“Comment tu peux faire ça à ta famille ? A ta sœur ?” Ils m’ont tous rejetée.
Mon intention n’était pas que ma nièce aille en foyer, je voulais juste que quelqu’un, une sorte d’autorité extérieure, intervienne pour sonner l’alarme et dire: “Attention !”.
Ma sœur a protesté en disant: “C’est mon enfant, je fais ce que je veux” .
Mais non, un enfant n’est pas un objet, on ne peux pas en disposer comme on veut.

Je peux comprendre sa réaction, et entendre qu’elle se soit sentie attaquée, qu’elle ait eu peur d’être enlevée à son enfant. Finalement, ma soeur a gardé sa fille et peu de temps après elle s’est séparée de son conjoint.
Que les parents restent ensemble est toujours préférable, mais quand ils se détruisent et construisent un environnement excessivement violent à vivre pour un enfant alors il vaut mieux une séparation. Mes parents sont restés treize ans ensemble, j’aurais franchement préféré qu’ils se séparent bien plus tôt, cela m’aurait évité pas mal de peines et de souffrances.

Ce qui m’a le plus attristée dans cette histoire, c’est la réaction de mes parents. Mon père, qui avait été d’une violence inouïe, avait l’air de s’étonner de tout ça.
Ma mère, dans un premier temps, m’a envoyé un texto de soutien. C’était comme si elle reconnaissait ses fautes et que désormais elle disait non à toute cette violence. Ça venait un peu réparer le passé.
Puis tout est parti en vrille. Ma sœur a pété un câble contre moi. Son compagnon m’a fait des menaces de mort. Et là ma mère a simplement retourné sa veste.

A cette période, j’avais quitté mon logement à Paris et j’habitais provisoirement chez ma mère et son nouveau conjoint en attendant de partir pour l’Espagne.
Un soir, vers 22h, ils m’attendaient dans le salon pour me dire: “tu prends tes affaires et tu dégages”. On était en plein hiver.
J’ai appelé mon thérapeute qui m’a conseillé de demander un délai d’une semaine pour pouvoir me retourner. J’ai envoyé un texto à ma mère, cachée dans ma chambre comme une enfant, pour dire que j’allais avancer mon départ pour l’Espagne.
Ça a été douloureux. Je l’ai vécu comme une trahison.

J’ai toujours été en opposition avec ma famille.

Un temps, comme je voulais être aimée, j’ai joué le jeu de la petite fille sage. Ma mère m’a raconté que bébé je ne pleurais jamais. J’avais simplement déjà compris que ma mère n’était pas disponible alors j’ai arrêté d’être demandeuse.

J’ai grandi dans une famille dysfonctionnelle. Je sentais qu’il y avait un truc hyper malsain dans nos rapports. A l’adolescence, ça s’est traduit par des problèmes de santé et de comportement. Plus tard, j’ai senti le besoin de m’éloigner de tout ça pour trouver quelque chose de plus sain. J’ai commencé à m’affirmer, d’abord avec ma famille, puis avec les autres. Mais quand tu dis: “ça j’en veux plus”, ce n’est pas forcément bien compris ou bien reçu. Ça a fait le vide.
Tant pis, je serai seule mais bien avec moi-même.

J’ai toujours cherché l’équilibre entre, d’un côté, étouffer ma nature profonde pour entrer dans le moule et, de l’autre, être moi-même mais en étant pointée du doigt. J’avais l’impression que personne n’était en adéquation avec ce qui pouvait m’intéresser ou ce que j’avais envie de partager.
Je m’intéresse à beaucoup de choses. Je suis curieuse de tout, je trouve que le monde est trop vaste pour se cantonner à une seule chose.
Mais le monde dans lequel on vit veut faire de nous des spécialistes. Pour être légitime et crédible, il faut faire une seule chose à la fois sinon on est forcément dispersé, pas sérieux, pas pro… C’est ce qu’on a dit de moi sans comprendre que l’intelligence est multiple!

En plus je suis une femme, ça complique aussi.

Changer de route, c’est faire preuve de créativité.

Krishnamurti a dit que ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien intégré dans une société malade.
Être créatif, c’est être autonome. Mais on ne veut pas que les gens soient autonomes, responsables et créateurs de leur vie; on veut qu’ils exécutent sinon le système se casse la gueule. On casse notre créativité dès le plus jeune âge alors qu’en nous laissant un espace d’expression, il y aurait des choses très intelligentes et très intéressantes à partager.

Nous sommes tous très influencés par notre éducation et notre culture. Ce dont on a pu être témoin dans notre parcours, dans notre famille, ce qu’on nous dit du bien et du mal, nous conditionne. Malgré tout, je pense que nous restons tous très singuliers, mais se détacher de la pression familiale et sociale n’est pas facile.
Créer son propre chemin l’est encore moins.

C’est possible, bien évidemment, mais ça demande du courage. Et le courage se niche là où il y a un vrai enjeu; là où il y a une nécessité de prendre une décision qui oblige à se positionner en réaction à soi ou aux autres, à la société, à ce qu’on a pu nous inculquer. C’est quelque chose qui va nous coûter intérieurement et extérieurement mais que l’on doit faire malgré tout.
C’est, en conscience, un engagement, peut-être même un sacrifice.
Cela diffère selon les histoires de chacun. Ce que j’estime être courageux ne le sera pas forcément pour quelqu’un d’autre.

Si c’était à refaire je le referai.

Je pense avoir eu du courage de me mettre à dos toute ma famille pour protéger ma nièce. Je n’ai pas la même notion de famille qu’eux. La famille ce n’est pas le sang, c’est le coeur. Est ce qu’ils te font du bien ? Est ce que tu leur fais du bien ?
Aujourd’hui j’ai l’impression que mon enfance, mon histoire, n’ont fait que me préparer à prendre cette décision.

Je pense que la rupture avec ma famille est définitive. Je suis encore dans l’émotion, dans la tristesse donc je n’ai peut-être pas encore le recul nécessaire. Ceci dit, cela en vaut la peine. Il y a forcément un prix à payer mais cela en vaut la peine.
Je me sens encore fragile mais j’essaie de garder la tête hors de l’eau. De comprendre ce que je veux faire vraiment.

Mon parcours m’a inspiré cette phrase: “je ne rentre pas dans les cases, car je suis l’ombre et la lumière, je suis tout et son contraire et je suis pleine de contradictions, ce que les autres appellent chaos, moi je l’appelle la vie.”



Nos choix ne font pas toujours l’unanimité. Souvent même ils nous opposent directement à nos proches.
Se confronter à sa propre famille est pour beaucoup le plus dur des combats ou à minima celui qui demande le plus de courage.
L’histoire de Sindy en est un parfait exemple.

— Fred

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